La chronique de Maurice Tarik MaschinoQu’est-ce qu’un musulman «modéré» ?
le 28.03.12 | 10h00
La presse française vient de découvrir une nouvelle sorte de musulman : le musulman «modéré». L’expression revient de plus en souvent dans les médias et le langage courant. Mais qu’est-ce qu’un musulman «modéré» ? Si les mots ont un sens, ce ne peut être qu’un musulman qui pratique modérément sa religion. Qui n’est donc pas trop musulman. Qui, on l’espère, le sera encore moins demain. Mais encore ? La presse ne le dit pas, et s’en garde bien. Car le musulman modéré ne l’intéresse pas, elle ne l’a jamais rencontré.Et pour cause : le musulman modéré est une abstraction, un pseudo-concept ou un concept de guerre, dont la fonction est d’exciter dans l’imaginaire des lecteurs les stéréotypes habituels qui stigmatisent les musulmans.
Loi antiraciste oblige : il n’est plus possible de parler des musulmans comme on le faisait encore dans les années 1930, quand il était évident, pour tous ou presque, que les musulmans étaient des fanatiques à «l’âme primitive» et à «la sauvagerie naturelle» qui jouaient facilement du couteau, violaient les femmes et s’abandonnaient à leurs «instincts violents».
Il se peut que ces clichés aient vieilli, mais il est certain que l’image des musulmans, en France, reste très négative. A ce point que le terme même de musulman remplace aujourd’hui les termes Arabe ou Maghrébin – termes dévalorisants (travail d’Arabe, les Nord-Africains), dont toute la charge négative s’est transférée sur le terme musulman.
Qui dit musulman dit, consciemment ou pas, immigré, même si l’immigré est de la troisième génération née en France ! – intégration interdite, on est immigré à perpétuité – il dit encore famille nombreuse, chômeur, machiste, polygame, peut-être clandestin, ex ou futur délinquant et surtout, dangereux.
A cause de sa religion, évidemment, dont on ne connaît rien, mais qui fait peur : et si chaque musulman était un Mohamed Merah en puissance ?
Musulman : nom ou adjectif, il dévalorise d’emblée celui qu’il désigne et par là-même, s’il est de nationalité française, l’éjecte symboliquement de la communauté nationale. On ne précise la religion d’une personne que si elle est suspecte ou coupable. Ou pour la tenir à distance et activer des réactions de défense. En 1998, on célébrait le Français Zidane, on ne le qualifiait pas de musulman ni de franco-algérien – franco-algérien restreint évidemment la francité de la personne, l’affaiblit et, pour beaucoup, la rend douteuse, incomplète. Non, Zidane était Zidane, français, mille fois français ! Rappeler qu’il était aussi musulman aurait été du dernier mauvais goût.
Ainsi vont les jugements dans la France d’aujourd’hui. Où les musulmans ne sont pas mieux acceptés qu’autrefois. Où les clichés les plus sordides leur attribuent les vices les plus rédhibitoires. Surtout quand il s’agit des hommes. Par exemple, constate un sociologue, «la procédure de naturalisation est utilisée par le(s) gouvernement(s) comme un dispositif de lutte contre l’homme musulman, tel qu’il est caricaturé : violent, sexiste, homophobe… C’est l’Autre absolu».
Ces clichés ont la vie dure. Parce que l’opinion, dans l’ensemble, n’a aucune connaissance de l’islam ? Sans doute. Parce que des fanatiques, qui ne le connaissent pas davantage, se revendiquent musulmans et, au nom de leurs fantasmes et de leurs frustrations, posent des bombes, assassinent ? Sans doute aussi. Parce que les gouvernements des pays dits musulmans se servent de l’islam pour mieux dominer leur peuple, le maintenir dans l’oppression et le condamner à l’obscurantisme ? Sans doute encore.
Mais, si importants soient-ils, ces facteurs ne suffisent pas à expliquer la peur ou la haine que les musulmans provoquent en France et ailleurs. Les groupes stigmatisés, dans une population donnée, ne sont pas ceux qui s’en différencient le plus, mais, au contraire, ceux qui, par bien des côtés, lui ressemblent et, par là même, la dévalorisent. Incertains de conserver leur emploi, souvent mal logés, aux fins de mois difficiles, les «musulmans» renvoient aux «chrétiens» l’image d’une condition qui est déjà en partie la leur. Et les «chrétiens», en rejetant cette image, rejettent en même temps ceux qui la leur présentent. Crise socioéconomique, idéologie fascisante : ce n’est pas demain qu’il fera bon vivre en France pour les musulmans, si «modérés» soient-ils.
Notes : -(1) Cf. Ralph Schor, L’opinion française et les étrangers, 1919-1939 - Publications de la Sorbonne, Paris, 1985.
-(2) Abellali Hajjat, Les frontières de l’ «identité nationale» - La Découverte, 2012.
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