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Quand le juge Gentil critiquait la politique de Nicolas Sarkozy
Mis à jour le 22/03/2013 à 21:07 | publié le 22/03/2013 à 19:43
Jean-Michel Gentil, le 19 février à Bordeaux.
Le 28 juin dernier, Jean-Michel Gentil avait cosigné, avec 81 autres magistrats, une tribune dénonçant « l'abandon de la lutte contre la délinquance financière » pendant les dix dernières années.«La décennie qui s'achève a vu se déliter les dispositifs de prévention et de répression de la corruption, comme si les exigences de probité et d'égalité de tous devant la loi s'étaient dissoutes dans la crise.» Ainsi s'exprimait le juge Jean-Michel Gentil, dans une tribune publiée dans
Le Monde en le 28 juin dernier, cosignée au total par 82 magistrats… tout juste cinq jours avant de lancer des perquisitions chez Nicolas Sarkozy!
Plusieurs juges d'instruction connus s'associent alors pour s'élever contre ce qu'ils appellent «l'abandon de la lutte contre la délinquance financière», une manière de prendre position contre la politique de Nicolas Sarkozy et de son prédécesseur à l'Élysée. Renaud Van Ruymbeke, toutefois, préfère rester à l'écart de ce mouvement en raison de la sensibilité politique des dossiers qu'il traite (il instruit alors l'affaire Karachi), une discrétion à laquelle ne s'astreint nullement le juge Gentil, qui vient pourtant d'hériter, fin 2010 à Bordeaux, de l'une des affaires politico-médiatiques les plus importantes de la décennie, mettant potentiellement en cause le chef de l'État.
La défense de Nicolas Sarkozy compte bien exploiter cette prise de position partisane du juge Gentil pour contester sa loyauté dans la conduite du dossier qui le mène jusqu'au chef de l'État dont il critique - avec d'autres, certes - la politique.
Même s'ils ne citent pas de dates, les auteurs du texte visent à la fois l'ère Chirac, mais aussi l'époque Sarkozy - comme ministre, candidat, puis président. La tribune stigmatise «la tentative, avortée, de supprimer le juge d'instruction, les obstacles dressés par la réforme du secret- défense, l'impuissance des États à mettre au pas les paradis fiscaux». Les auteurs critiquent ouvertement la volonté de dépénaliser «à toute force» le droit des affaires exprimée par Nicolas Sarkozy.
La succession des «affaires» au cours des années passées a gangrené les relations entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif - tous bords politiques confondus. Elles ont laissé aux deux camps un goût acide, dont on voit sans doute les relents aujourd'hui dans cette mise en examen d'un ancien chef de l'État pour «abus de faiblesse». La signature de Jean-Michel Gentil au bas de ce texte public, alors même qu'il s'est «bunkérisé» aux yeux des médias depuis qu'il traite le dossier Bettencourt, montre qu'il s'inscrit pleinement dans ce mouvement.
Les auteurs se posent par ailleurs en chevaliers blancs isolés, y compris au sein de la machine judiciaire, puisqu'ils n'hésitent pas à parler de «la complaisance du parquet». Le statut des magistrats du parquet, qui travaillent en équipe sous la direction des procureurs dans chaque tribunal, les lierait de trop près à la Chancellerie, et donc au gouvernement.
Mais la plus vive blessure pour Jean-Michel Gentil reste sans doute la tentative de Nicolas Sarkozy de supprimer les juges d'instruction, forcément mal vécue par les intéressés. Même si le projet évoquait alors une évolution vers une procédure plus contradictoire à l'anglo-saxonne avec l'instauration d'un juge superviseur, les magistrats instructeurs ont fait mine de comprendre que Nicolas Sarkozy voulait supprimer… l'instruction elle-même! Or c'est un sujet sur lequel Gentil s'est personnellement beaucoup investi comme président de l'Association française des magistrats instructeurs, et sur lequel il est donc opposé depuis des années à Nicolas Sarkozy.