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Une psychiatre jugée à cause de son patient criminel
Publié le 12/11/2012 à 20:23 La juge d'instruction estime que la psychiatre, qui suivait son patient depuis longtemps, n'a jamais posé le juste diagnostic de schizophrénie.
Pour la première fois, un médecin est accusé de n'avoir pas correctement suivi un patient schizophrène.
Un procès tout à fait singulier doit avoir lieu, mardi, devant le tribunal correctionnel de Marseille. Pour la première fois en France, une psychiatre répond d'«homicide involontaire» pour n'avoir pas diagnostiqué la maladie dont souffrait l'un de ses patients, lequel, dans une crise délirante, a assassiné le compagnon de sa grand-mère, le 9 mars 2004.
Depuis février 2000, tous les spécialistes qui examinent Joël Gaillard concluent qu'il est atteint d'une forme de schizophrénie paranoïde et d'un déni complet de son état, qui font de lui l'un de ces rares malades mentaux extrêmement dangereux pour leur entourage (le plus souvent, ils sont victimes d'humiliations et de mauvais traitements). Tous, sauf le Dr Danièle Canarelli, 57 ans. Pourtant, il n'est pas question ici d'une controverse sur un cas «border line»: Joël Gaillard ne cesse de donner raison aux praticiens qui le disent délirant, multipliant les agressions d'une violence préoccupante et les «non-lieux psychiatriques» (article 122-1 du Code pénal) en raison de son irresponsabilité manifeste.
N'étant «pas accessible à la sanction pénale», l'intéressé est dirigé vers un établissement médical, notamment l'hôpital Édouard-Toulouse de Marseille où officie le Dr Canarelli. Une première fois, en février 2000, ce médecin obtient la levée de l'hospitalisation d'office (HO) de M. Gaillard, estimant qu'il ne «présente aucun élément de dangerosité psychiatrique» grâce à son traitement.
Quatre internementsProblème: le sujet cesse de prendre ses médicaments et récidive, en janvier 2001. Retour à Édouard-Toulouse, où le Dr Canarelli demande rapidement la levée de la mesure de HO. Il y aura quatre internements semblables entre 2000 et le crime de 2004.
Peu avant celui-ci, Joël Gaillard est reçu par le Dr Canarelli. Lorsque le médecin indique à son interlocuteur qu'elle envisage de l'hospitaliser, l'individu se lève et s'en va. Ce n'est qu'au bout de plusieurs heures que sa fugue est signalée à la police. Le 26 février 2004, Joël Gaillard tente une première fois d'agresser Germain Trabuc, qu'il soupçonne, dans son délire, de vouloir détourner l'héritage de son grand-père. Le 9 mars, il le tue.
Déni dans le déniUn expert judiciaire, le Dr Archambault, note que huit psychiatres ont diagnostiqué sa maladie et s'étonne de l'attitude du Dr Canarelli: «Il y a eu en quelque sorte un enfermement dans le déni, le déni de Joël Gaillard ayant entraîné un déni de l'équipe soignante et surtout du Dr Canarelli», écrit l'expert dans son rapport, laissant entendre que, contrairement à ce qu'elle soutient, sa collègue ne considérait pas son patient comme un malade mental et, par conséquent, n'a pas mis en œuvre les mesures adéquates.
La juge d'instruction renvoie la psychiatre en correctionnelle par le biais d'une ordonnance sévère. Elle relève, notamment, que quand Joël Gaillard s'enfuit de l'hôpital, le Dr Canarelli demande que sa famille soit prévenue d'un «risque de passage à l'acte» : «Cette démarche établit à elle seule que le médecin avait parfaitement conscience de la dangerosité de son patient», déduit le magistrat.
Une éventuelle faute professionnelle, dans un domaine aussi complexe, peut-elle constituer une faute pénale? Me Gérard Chemla, conseil de la partie civile, estime qu'«il n'y a pas d'exemple d'un tel entêtement dans le déni de la part d'un psychiatre». A contrario, en défense, Me Sylvain Pontier plaidera la relaxe, défendant l'idée que sa cliente «a soigné M. Gaillard avec toute la rigueur qu'impose sa déontologie».
Le jugement sera suivi de près par tous les psychiatres, régulièrement - et souvent abusivement - traités de charlatans dès qu'un fait divers défraie la chronique.