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Syrie : l'influence politique au cœur de la stratégie russe
Publié le 31/05/2012 à 20:18
Le ministre de la Défense syrien, Dawood Rajiha
(3e en partant de la gauche), sur le pont du porte-avions russe Kouznetsov, amarré dans le port de Tartous, le 8 janvier 2012.
Premier fournisseur d'armes de Damas, la Russie sait aujourd'hui qu'il ne lui est plus possible de poursuivre dans cette voie mais elle est bien décidée à peser sur le réglement de la crise.
Depuis le début de la crise syrienne, la Russie joue sa propre partie, qui l'a replacée au cœur de l'échiquier diplomatique mondial. Elle a d'abord jalousement veillé sur ses intérêts. Premier fournisseur d'armes de la Syrie, la Russie lui a livré l'année dernière 960 millions de dollars d'équipements militaires, selon les estimations du cabinet spécialisé Cast, qui épluche l'activité de Rosoboronexport, le VRP du complexe militaro-industriel russe.
Le ministère de la Défense à Moscou assure que ces livraisons concernent uniquement des batteries de missiles, rien qui puisse être utilisé pour mater la rébellion. Des transfuges du gouvernement syrien, eux, évoquent au contraire une hausse des livraisons d'armes légères, à raison d'«une cargaison par mois», selon l'ancien commissaire aux comptes du ministère syrien de la Défense.
«La Russie honore ses contrats mais n'en signe pas de nouveaux. Elle a retenu la leçon libyenne: on signe, on commence à produire et on n'est jamais payé», explique Rouslan Poukhov, le directeur de Cast, démentant les informations parues dans la presse russe selon lesquelles un nouveau contrat sur la livraison de 36 chasseurs Yak-130 aurait été signé en janvier. Un consultant proche du lobby de l'armement croit même savoir que «la Russie, sous la pression de l'Occident, a cessé ses livraisons d'armes légères depuis au moins trois mois».
Un processus irréversibleQuoi qu'il en soit, selon Rouslan Poukhov, «penser que la Russie soutient Damas en raison des ventes d'armes est une aberration! C'est totalement hors sujet!», assure-t-il. Idem de la base navale de Tartous, point d'appui de la flotte russe de la mer Noire hérité de l'amitié entre l'URSS et Hafez el-Assad, qui fit ses classes dans les rangs de l'Armée rouge. «À peine un point de ravitaillement!, ironise-t-il. La base que nous avons au Vietnam est nettement plus importante d'un point de vue stratégique.»
Fiodor Loukianov, rédacteur en chef de la revue Russia in Global Affairs, opine. «Au début, la position russe était en partie motivée par les intérêts du complexe militaro-industriel. Ce serait bête de le nier. Mais aujourd'hui, tout le monde comprend que le processus est irréversible. Bachar el-Assad partira. Le business as usual n'est plus possible», observe-t-il.
En février, la Russie a opposé son veto à un projet de résolution du Conseil de sécurité de l'ONU. «C'est là ce qui intéresse Moscou: l'influence politique», observe Fiodor Loukianov. «La Russie a réussi à écarter l'idée du départ de Bachar el-Assad comme préalable à une sortie de crise. Le plan Annan est en grande partie le résultat du travail des diplomates russes. La Russie voulait être entendue. C'est fait.»
Depuis la chute de l'URSS, la Russie souffre de «solitude stratégique»Mais depuis le massacre de Houla, qui a coûté la vie à plus de 100 civils syriens la semaine dernière, Moscou se trouve quelque peu à court d'arguments. «Si vous faites face à une pandémie de choléra, de peste et de typhus, vous mettre un mouchoir sur le nez ne sert à rien. Il en est de même avec Annan», lance, cinglant, Evguenii Satanovskii, président de l'institut du Proche-Orient, dans les colonnes du quotidien populaire Moskovskii Komsomolets.
La Russie, qui accuse l'Otan de l'avoir escroquée sur le dossier libyen en utilisant la résolution 1973 du Conseil de sécurité pour orchestrer la chute de Kadhafi, s'opposera à toute forme d'ingérence militaire sous mandat de l'ONU. En revanche, Moscou pourrait servir de garant dans le cadre d'un départ négocié de Bachar el-Assad. «Cela lui permettrait de garder la main sur le processus de transition et de rouvrir une fenêtre pour ses intérêts», observe Fiodor Loukianov.
Selon Rouslan Poukohv, la Russie souffre depuis la chute de l'URSS de «solitude stratégique». Privée de «famille», elle va là où l'on veut bien l'entendre. À Damas donc. Mais ce soutien n'est pas immuable. «La Russie pourrait dire à Assad: on a fait tout ce qu'on pouvait. N'attends plus rien de nous», avance Loukianov.
Courtisé comme jamais, Vladimir Poutine ne s'engage pas dans cette manche décisive sans une part de bluff. Selon cet expert, «Moscou a plus de contacts avec Damas que les pays occidentaux. Cela ne veut pas dire qu'elle dispose d'une baguette magique».