Chers Amies et Amis, Bonjour !
Voici une très belle évocation de notre Ami Belabbésien Manuel RODRIGUEZ, Professeur honoraire d'Espagnol, sur la Mona parue il y a quelques années sur le Site de SLIM, " SBA KAHYI ".
Je l'ai retrouvée pour la partager avec vous.---------------------------------------------------------------
LE LUNDI DE PAQUES - LA MONA -Parmi toutes les vacances scolaires, celles que j'appréciais le plus étaient sans conteste les vacances de Pâques. En effet, les vacances de Noël, le sapin illuminé, le réveillon et les mystères de la visite nocturne du Père Noël, savamment entretenus par mes grandes sœurs, n'avaient pas mes faveurs. Mes jeunes années coïncidant avec les années d'après guerre( 1939-1945) temps très durs, le « petit Jésus » lisait mal mes lettres et mes déceptions étaient souvent cruelles.
Il faudrait ajouter que les journées d'hiver étant terriblement courtes, les enfants de plein air que nous étions s'en trouvaient terriblement frustrés.
Le mot MONA avait pour nous, enfants, une signification presque magique. C'était le nom du gâteau de Pâques certes et il symbolisait la résurrection du Christ, mais il signifiait à lui seul la journée du lundi de Pâques et ses festivités champêtres. Une journée en forêt, la découverte des sous-bois, le traditionnel match de foot, les rondes géantes, les longues séances de balançoire. Etc,.faisaient vibrer toutes les fibres de notre corps de jeunes rejetons ivres d'air pur. C'était une journée de défoulement total.
Un bon mois avant la date fatidique, nous ne cessions de harceler nos parents. Il fallait en effet se préoccuper du moyen de locomotion. Papa n'ayant jamais voulu acquérir de voiture, bien trop prudent pour cela , nous devions donc solliciter les services d'un ami ou d'un transporteur. Le lieu choisi pour les réjouissances était, presque toujours, la forêt de Khamissis très étendue, située à 8 kilomètres au sud de la ville de Sidi- Bel-Abbès et, ce jour-là, la camionnette effectuait trois ou quatre voyages.
Oui ! En cette occasion, des dizaines et des dizaines de milliers de « pieds-noirs » de condition modeste, descendants pour la plupart de l’émigration espagnole, s’en allaient faire la fête à la campagne.
Ils perpétuaient, à travers toute l’Oranie, cette coutume ancestrale du pique-nique pascal, célébré sur les terres valenciennes et alicantines de la péninsule ibérique. Ces gens là, avec cette joie de vivre qui les caractérisait si bien, feront partie plus tard des grands oubliés du drame algérien.
Je me souviens de l'une de ces dernières excursions du lundi de Pâques. C’était vers 1948 , j’avais donc une dizaine d’années. Un voisin arabe bien connu de tous dans le faubourg de la Calle del Sol, dénommé Lachmi, accepta, moyennant quelque argent, de nous y conduire.
Il possédait une camionnette avec deux ridelles latérales d'environ un mètre de hauteur et une troisième à l'arrière que l'on rabattait pour pouvoir monter sur le plateau. Ce véhicule lui permettait de gagner sa vie tant bien que mal en assurant, ici et là, de petits transports. Il était, comme on dit, un peu fatigué et les amortisseurs complètement inopérants.
Le lundi de Pâques, dès l'aube, tout le monde était sur le pied de guerre. On chargeait la camionnette de tout le nécessaire pour faire un bon « arroz con pollo » (riz au poulet), une corbeille de fèves tendres pour manger à la croque- au- sel avec du jambon cru du pays, des oranges, un tonnelet de vin rosé 12° de chez Bouscary ou Kinouri, négociants du coin, les monas bien sûr, et l'anisette. Nous prévoyions aussi des tables (deux tréteaux et une planche), des sièges et quelques couvertures pour les adeptes de la sieste après le repas.
Nous grimpions tous alors à l’arrière du véhicule et prenions place sur des bancs ou de petites chaises basses espagnoles. Dès que la camionnette démarrait, chacun s'agrippait où il pouvait pour éviter la chute. Chez les Rodriguez, nous étions sept avec le grand-père et chez mon oncle, les Sanchez, ils étaient quatre. Mais il y avait toujours un ou deux voisins invités qui prenaient part à la fête.
Nous quittions la ville, en direction du sud, par la départementale qui conduisait au Télagh. Après quatre kilomètres de bonne chaussée, bien goudronnée, nous empruntions alors sur la gauche une piste qui menait à la forêt, en très mauvais état, ravinée par les pluies et parsemée d'ornières. Le véhicule commençait alors à grincer et à épouser fidèlement les dénivellations du terrain. Comme les amortisseurs ne faisaient plus leur usage, nous étions comme dans un chalutier soumis à une forte houle. Les hommes riaient et nous, les enfants, restions insouciants; puisque les adultes avaient mis sur pied cette aventure, elle ne pouvait que bien se terminer. Par contre, les femmes commençaient à s'affoler. Ma tante Dolorès, ma marraine, ne cessait de se signer et d'implorer je ne sais quel saint.
Petit à petit nous arrivions sur une route forestière en meilleur état et ces moments de forte tension laissaient place à la grande rigolade. Comme les prières avaient protégé en quelque sorte l'expédition, certains se confondaient alors en remerciements, en dirigeant leur regard vers le ciel.
Une fois arrivés à bon port, la ridelle postérieure était abaissée, sonnant l'heure du débarquement. J'avoue qu'il fallut en aider quelques-uns qui, n'ayant pas le pied marin, eurent du mal à maintenir la position verticale.
Avant de procéder au déchargement, mon grand-père maternel frappait dans ses mains, demandait quelques secondes d'attention et entonnait, repris par tout le monde, le couplet traditionnel:
« Ya estemos aquí ( Nous voici arrivés)
Ya estemos aquí
Viva la mona! (Vive la mona)
Viva la mona!
Ya estemos aquí
Ya estemos aquí
Viva la mona!
Y el mes de abril! » (Et le mois d’avril)
Vous remarquerez peut-être, au passage, que nous confondions allègrement le subjonctif et l'indicatif du verbe "estar". Il fallait dire bien sûr "Ya estamos aquí etc."
Une fois la balançoire installée, solidement attachée à la branche maîtresse d'un sapin, les filles et les femmes avaient là une agréable occupation. Il fallait alors passer aux choses sérieuses.
Pas de lundi de Pâques sans une partie de foot. Les Bel-Abbésiens étaient bien trop fiers de leur Sporting ( SCBA), champion d'Afrique du Nord et protagoniste de grands matchs de coupe de France au Stade Monreal à Oran, pour ne pas faire honneur à ce sport.
La moindre petite clairière faisait office de terrain de foot et peu importait le degré de sa déclivité ou la présence ici ou là de quelques touffes d'alfa ou de buissons épineux. On sonnait le rappel un bon kilomètre à la ronde et tous les hommes valides jouaient. Trois générations y étaient représentées.
Les appels de balle se faisaient en français ou en espagnol, selon le joueur qui menait le jeu. Cependant il n'était pas très conseillé de trop garder le ballon car ceux qui ne pouvaient pas courir assez vite ou manquaient de technique élémentaire, rataient rarement le tibia ou la cheville adverse. On recevait donc, ce jour-là, pas mal de "cagnes ", de l'expression espagnole "dar caña'', donner des coups, fustiger.
Que voulez-vous ! On n'évolue pas de la même façon et avec les mêmes armes, à dix ans qu’à soixante- cinq ans.
C’était aussi une partie de franche rigolade. Certains maîtrisaient mal leur élan et, trahis par leur embonpoint, s’affalaient sur l’herbe de façon spectaculaire, lorsqu’un gamin les mettait dans le vent, à la suite d’un dribble court.
L'arbitrage était assuré par un ou deux Anciens, quant aux limites du terrain, elles étaient imaginaires et les poteaux se voyaient matérialisés par deux gros cailloux. Pour saluer chaque but, nous criions « Il y est ! » ; dans notre tête c’était plutôt « ilié ». Lorsque la trajectoire de la balle était litigieuse, comme il n’y avait ni poteaux, ni transversale, ceux du camp adverse répliquaient alors : « Non ! Il n’y est pas ! » ou bien «Ese no está ilié».
Curieusement le jeu se déroulait sans gros désaccords. Comme nous pratiquions l'attaque à outrance, dès qu'une équipe avait marqué, par exemple, cinq buts, c'était le moment de la mi-temps et nous changions de camp. Les premiers qui arrivaient à dix buts sifflaient la fin du match.
Les tout jeunes, « los monigotes » ( On disait aussi « mañacos », mais les dictionnaires espagnols ne l’ont pas encore admis), se tenaient les côtes en constatant les dégâts : certains, parmi les aînés, boitaient bas, les chevilles endommagées, d’autres portaient les mains à leurs cuisses pour soulager des contractures ou soufflaient comme des bœufs pour recouvrer au plus vite une respiration normale.
Vers midi, on allumait le feu et très vite le riz au poulet entrait en préparation.
Ce rôle incombait souvent aux grands-parents. C'était alors l'heure de l'apéritif. Je devrais dire de l'anisette, boisson nationale pour nous et grande réparatrice, ici, des efforts violents consentis. Ce jour-là, elle se buvait en mangeant des fèves tendres crues, accompagnées de jambon cru préparé et mis à sécher à la maison depuis l’automne dernier.
L'euphorie de la fête aidant, les hommes en buvaient parfois un verre de trop. Souvent alors une victime, peu habituée au fait, accusait le coup. On ne disait jamais « está borracho », il est saoul ; les femmes, mères ou épouses, veillaient aux écarts de langage. On préférait l'expression « está mareao! », il a quelques vertiges!
Après le repas, on sortait presque religieusement les Monas. Chaque famille présentait les siennes et nous avions droit alors à quelques comparaisons : de couleur, de pâte plus ou moins levée et de recettes. Certains les dégustaient avec un petit rosé 12°, déjà mentionné plus haut, tandis que d'autres préféraient attendre le café pour mieux les apprécier.
L'après-midi, nous organisions des rondes géantes car d'autres excursionnistes se joignaient à nous. Elles étaient agrémentées de chants et de jeux.
C’était le moment où la forêt de Khamissis résonnait au son des accordéons et les jeunes gens des Amarnas et de la Calle del Sol, quartier populaire par excellence, esquissaient quelques pas de danses à l’ombre des sapins.
Ce lundi de Pâques était aussi l'occasion de montrer nos beaux cerfs-volants ; nous appelions ça des " bilochas", il faudrait dire « birlochas ». C'était à celui qui parvenait à les hisser le plus haut possible dans les nuages et le vent du mois d'avril s'y prêtait à merveille.
Les journées étaient assez longues, chez nous, à cette époque de l’année et nous retardions l'heure du départ autant que possible. On préparait alors le dîner.
C'était toujours une « fritá»( fritada) de fèves rissolées à l'oignon tendre, avec des cœurs d'artichauts cueillis de la veille et des morceaux de poulet et de lapin.
La camionnette commençait alors à effectuer la navette vers la ville.
Le retour à la maison était bien triste pour les enfants. Nous attendions tellement ce jour- là que nous éprouvions beaucoup de peine à le voir tirer à sa fin.
Après que mon oncle Périco, coiffeur dans le quartier, eut convaincu ma tante de grimper sur le véhicule – elle se proposait, en effet, de faire les deux kilomètres de piste en mauvais état, en marchant - nous rebroussions chemin.
Comme le répertoire espagnol était un peu maigre, c'était les chants traditionnels français qui nous accompagnaient. Etaient à l'honneur: la Madelon, les Chevaliers de la Table Ronde, Ah ! le petit vin blanc, Boire un petit coup etc.
Mon grand- père, un andalou du Cabo de Gata, se sentant alors exclu du jeu, ponctuait tout haut la fin de chaque chanson par un « Viva la bomba! » de l'expression « faire la bombe », s'amuser comme des fous.
Mais certaines années hélas, la pluie était au rendez-vous, la veille du jour de Pâques. Mon père disait que cela arrivait une fois tous les quatre ans.
Ces averses soudaines, assez fortes, étaient cependant entrecoupées de belles éclaircies durant lesquelles le chaud soleil d’Oranie redonnait espoir en quelques minutes.
Nous, les enfants, nous exclamions alors : ça y est Papa! Il fait beau, on pourra y aller! Mais, hélas, mille fois hélas, la décision était déjà prise par les adultes: « On ne pourra s'asseoir nulle part, tout sera mouillé, boueux ; on ne va pas passer la journée à s'abriter sous la camionnette toutes les demi-heures, pour échapper à la pluie. »
C'était donc non!
Cela finissait alors par une paella ( prononcer paéya, s'il vous plaît). Nous disions d'ailleurs à la maison, « un arroz con pollo » et pour donner un caractère un peu exceptionnel à cette célébration, nous invitions à notre table quelques voisins.
Cependant, le cœur n'y était pas.
Les senteurs si caractéristiques des résineux, le bruit familier du petit vent, agitant la cime des arbres, qui se levait immanquablement l’après-midi et la ventrée de rire, « la panzá » (castillan) ou « la panchá » (valencien) de reír », à l’occasion du match de foot, nous avait terriblement manqué.
Cette année-là, la Mona nous laissait un goût bien amer et surtout aucun souvenir à ressasser tout au long de l’année.
-Expressions consacrées chez nous, au mot MONA :
-Fera-t-il beau pour la MONA (lundi de Pâques)
-Nous avons fêté la MONA en forêt.
-Le jour de la MONA, nous avons disputé un match de foot mémorable.
- Por (ou para) Pascua Mona.( Pour la fête de Pâques)
Expressions très espagnoles, peu utilisées chez nous, en Oranie :
-« Coger » una MONA. (prendre une cuite)
-« Dormir » la MONA.(cuver son vin)
Rodriguez Manuel ( né à Sidi-Bel-Abbès. ORANIE )
Professeur honoraire d’Espagnol---------------------------------------------------------------
Bonne lecture !
Salutations amicales à vous tous en vous disant à très bientôt !
Signé : Nordine B. alias Caligula et pour les Intimes tout court !