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À Dakar, la présidentielle ravive les tensions religieuses
Mis à jour le 19/02/2012 à 22:23 | publié le 19/02/2012 à 20:32 Des manifestants ont affronté les policiers dimanche dans les rues de Dakar.
La «profanation» de leur mosquée par la police fait exploser la colère des tidjanes.
Le calme n'a pas régné longtemps dimanche à Dakar. Il a suffi que le premier casque de policier se dessine devant la mosquée Malick-Sy, pour que les pierres volent. En quelques minutes, l'une des principales artères du centre de la capitale sénégalaise, dans les cris et les gaz lacrymogènes, s'est transformée en un champ d'affrontement entre manifestants et forces de l'ordre.
Sur le bitume, une centaine de jeunes, écharpes sur le nez, s'échinent à allumer des brasiers de vieilles planches, à lancer des pavées, pour faire reculer les gendarmes mobiles. Sans grand succès. Dans les embrasures de portes, sur les balcons, des curieux encouragent les manifestants.
À Dakar, la scène n'étonne plus personne. À une semaine de la présidentielle, qui opposera le président sortant, Abdoulaye Wade, à dix challengers, les rixes sont quotidiennes. Les rues étroites du vieux Dakar portent encore les traces des manifestations de samedi. Cette fois pourtant les tensions sont tout autres. Les opposants ne sont plus des anti-Wade mais des jeunes tidjanes, l'une des plus puissantes confréries du pays. «Je ne fais pas de politique, mais trop, c'est trop. Il faut respecter la religion», hurle Omar Sy, une pierre dans un poing et un badge à l'image du premier khalif tidjane sur le cœur.
Prières transformées en émeutesLa colère tidjane a explosé vendredi avec le lancer d'une grenade lacrymogène par des policiers au cœur de la mosquée Malick-Sy, blessant un fidèle. La bâtisse, l'un des plus anciens lieux de culte de la capitale, est hautement symbolique pour la confrérie.
La réplique est à la hauteur de l'offense. Des marabouts s'insurgent contre une «profanation inacceptable». Conscient du danger, le gouvernement dépêche samedi en urgence le ministre de l'Intérieur à Tivaouane, la ville sainte des tidjanes, pour présenter ses excuses. La démarche est un échec. Hué, Ousmane Ngom doit se replier sous la protection du GIGN.
Dimanche la cérémonie d'appel au calme lancée depuis la mosquée Malick-Sy par le porte-parole des tidjanes, Serigne Abdoul Aziz Sy, ne parvient pas plus à ses fins. L'arrivée impromptue d'un dignitaire proche de Wade transforme les prières en émeutes.
«C'est une affaire importante qui pourrait avoir des retombées graves pour le candidat Wade s'il devait perdre tout ou partie du vote tidjane», souligne l'universitaire Babacar Gueye. Car au Sénégal, la politique et la religion ne sont jamais loin et tournent autour des deux grandes confréries: les tidjanes et les mourides. Ces communautés, toutes deux issues du soufisme, se partagent une large part des 11 millions de musulmans du pays, influençant largement la société sénégalaise. La confrérie des tidjanes, la plus ancienne regroupe une large part de l'élite du pays. Celle des mourides, née elle au Sénégal vers 1900, se veut plus populaire.
«On a sali ma religion. Wade m'a offensé»Longtemps, les confréries ne se sont disputé que les âmes et les financements sur lesquels repose la puissance des cheikhs. Mais «il a toujours été impossible de faire de la politique au Sénégal sans s'assurer au minimum la neutralité des confréries», insiste un diplomate. Dans l'ombre l'une comme l'autre ont soutenu les présidents Senghor, puis Diouf avant, en 2000, de rallier l'opposition et Wade.
Mais, en s'affichant ouvertement aux côtés des mourides, ce dernier a rompu cette tradition de discrétion et agacé les tidjanes. Politicien adroit, le vieux président a pourtant, au fil du temps, su panser cette plaie d'honneur. «Les affrontements autour de la mosquée pourraient tout rallumer et ruiner ces efforts», assure le politologue Ousmane Diop, qui souligne la présence, de plusieurs représentants de l'opposition, comme le chanteur Youssou N'Dour dimanche à la mosquée Malick-Sy.
Devant le lieu saint, des centaines de jeunes, comme Mamadou Bâ, n'hésitent plus à crier leur colère contre le pouvoir: «Je ne fais pas de politique, mais on a sali ma religion. Wade m'a offensé.» Un expert, qui tient à rester anonyme, se dit inquiet. «Cette élection et les divisions politiques ont ravivé les tensions entre les confréries. Il ne faudrait pas maintenant que cela devienne trop grave car ce pourrait être catastrophique pour le pays.»