Le Monde.fr | 31.03.2014 à 19h54 • Mis à jour le 01.04.2014 à 09h08 | Par Françoise Fressoz
Manuel Valls et Jean-Marc Ayrault, le 25 août, à La Rochelle.
C'est à Manuel Valls, le marginal du Parti socialiste, l'homme qui n'avait obtenu que 5,6 % des suffrages à la primaire socialiste d'octobre 2011, que François Hollande a décidé de confier les clés de Matignon au moment où son quinquennat menace de virer à la tragédie.
Ce coup de poker peut paraître improbable : la gauche rue dans les brancards après la défaite aux municipales, et Jean- Marc Ayrault, le premier ministre sortant, avait pris soin d'obtenir des appuis auprès des partenaires sociaux et de verrouiller une majorité PS-écologiste pour tenter de se maintenir à Matignon.
Manuel Valls est fait d'une autre pâte : cet ancien rocardien incarne la gauche libérale sur le plan économique, et la gauche républicaine, voire sécuritaire, sur le plan des mœurs. On n'est plus exactement dans la social-démocratie que revendiquait le couple Hollande-Ayrault. L'équilibre s'est déporté vers la droite, sans doute parce que le pays a nettement voté à droite aux municipales.
VALLS CONNAÎT BIEN MATIGNON
Quels sont donc les atouts du ministre de l'intérieur, plus jeune de treize ans que Jean Marc Ayrault ? Outre sa jeunesse (51 ans), il faut lui reconnaître une autorité certaine, qu'il a démontrée dans toutes les fonctions qu'il a exercées, notamment à Matignon lorsqu'il était responsable de la communication du premier ministre Lionel Jospin, à la fin des années 1990.
Manuel Valls connaît bien Matignon. Or ce dont a le plus besoin le chef de l'Etat, c'est que la machine gouvernementale tourne et que l'autorité du premier ministre ne soit pas affaiblie par des prises de position intempestives. C'est cela qui a coûté son poste à Jean-Marc Ayrault : trop de ministres manifestaient à son égard une désinvolture qui portait atteinte au crédit de toute l'équipe.
L'ancien maire d'Evry a un autre avantage : il n'a aucun problème de conscience à l'égard du pacte de responsabilité que François Hollande veut « réussir ». L'ancien maire d'Evry adhère depuis longtemps à la politique de l'offre, parce qu'il ne voit pas comment la France pourra renouer avec la croissance sans rétablir la compétitivité des entreprises. En janvier 2011, il n'avait pas hésité à plaider pour « un déverrouillage » des trente-cinq heures.
UNE IMAGE PAS SI DROITIÈRE
Cela n'en fait pas pour autant un euroenthousiaste béat. En 2005, il n'avait pas du tout été emballé par le référendum sur le traité constitutionnel européen, voulu par Jacques Chirac. Il faut donc se garder d'enfermer l'ambitieux catalan dans une case, d'autant que son arrivée à Matignon pourrait contribuer à gauchir son image.
Le président de la République le veut pour tenir compte du message des urnes, et lui en a besoin. Ces derniers mois, Manuel Valls est surtout apparu comme un « superflic » régulièrement en bisbille avec la garde des sceaux, Christiane Taubira, et la partie la plus à gauche de la majorité.
Il a œuvré pour sortir de cette case en nouant une alliance avec deux eurosceptiques et deux incarnations de l'aile gauche du PS, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon. Ses relations avec les écologistes restent cependant fraîches, au point que Cécile Duflot a fait savoir la semaine dernière qu'elle ne ferait pas partie de l'équipe gouvernementale si Manuel Valls devenait premier ministre. Mais elle ne représente pas à elle seule tous les écologistes.
QUELLE RELATION AVEC HOLLANDE ?
Le plus intéressant à observer va être la relation entre le président de la République et le premier ministre. Certes, on n'est pas dans la configuration problématique du couple Chirac-Sarkozy. Manuel Valls a beau voir loin, il n'est pas en concurrence avec le chef de l'Etat.
Leurs relations, qui se sont approfondies pendant la campagne présidentielle, sont bonnes, mais le quinquennat ne contribue pas à simplifier le fonctionnement du couple Elysée-Matignon. Qui doit agir ? qui doit parler ? qui doit s'exposer ? Nicolas Sarkozy et François Fillon n'ont jamais réussi à trouver le bon mode d'emploi, tandis que le couple Hollande-Ayrault, malgré de bonnes relations personnelles, a fonctionné cahin-caha.
Au plus bas dans les sondages, François Hollande ne s'est certainement pas simplifié la tâche en nommant Manuel Valls à Matignon. Le chouchou des sondages a la particularité de vouloir incarner ce que les Français attendent du président de la République : un discours républicain capable de retisser le lien social et national qui se distend dangereusement dans le pays. Gare à la compétition !