LE MONDE | 19.03.2014 à 10h45 • Mis à jour le 19.03.2014 à 10h56 | Par Gérard Davet et Fabrice Lhomme
Nicolas Sarkozy, à Nice, le 10 mars.
L'enquête pour « trafic d'influence » et « violation de secret de l'instruction » impliquant Nicolas Sarkozy, son avocat Me Thierry Herzog et le haut magistrat Gilbert Azibert, premier avocat général à la Cour de cassation, prend de l'ampleur.
Selon les informations du Monde, les juges et les policiers, lors de la perquisition opérée le 4 mars à la Cour de cassation, ont mis la main sur des éléments qui les intriguent. Ainsi, ils ont saisi une carte de vœux très amicale adressée à M. Azibert par Patrick Ouart, ami proche et conseiller justice officiel de 2007 à 2009, puis officieux, de M. Sarkozy à l'Elysée.
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Les enquêteurs ont également découvert que M. Ouart figurait sur une liste de magistrats à qui M. Azibert devait envoyer son dernier ouvrage. C'est notamment sur les recommandations de M. Ouart que M. Azibert avait été nommé secrétaire général de la chancellerie, en 2008. Les policiers ont aussi emporté le disque dur de l'ordinateur de M. Azibert, qui contenait différentes pièces de procédure ayant trait à l'affaire Bettencourt.
Autant d'éléments qui viennent à l'appui des révélations du Monde, le 7 mars, confortées, mardi 18 mars, par la publication sur le site Mediapart d'une synthèse de sept conversations entre l'ex-président et son conseil. Ces interceptions ont été opérées entre le 28 janvier et le 11 février sur la seconde ligne téléphonique de l'ex-président, ouverte sous la fausse identité de Paul Bismuth. Les conversations portent essentiellement sur la décision attendue de la Cour de cassation concernant les agendas de M. Sarkozy, mis sous scellés dans le dossier Bettencourt – le 11 mars, la Cour a validé cette saisie.
RÔLE CENTRAL DE GILBERT AZIBERT
Ces agendas nourrissent la procédure sur l'affaire Tapie-Crédit lyonnais, et sont susceptibles d'intéresser d'autres juges d'instruction, notamment ceux enquêtant sur les accusations de financement de la campagne présidentielle de M. Sarkozy en 2007 par la Libye. C'est justement dans ce dossier qu'a été captée une conversation entre MM. Sarkozy et Herzog, à l'origine de l'ouverture de l'enquête pour « trafic d'influence ».
La synthèse des retranscriptions confirme le rôle central joué par Gilbert Azibert. En poste à la chambre civile de la Cour de cassation, il renseignait Nicolas Sarkozy, par l'intermédiaire de son avocat, sur l'avancée des travaux de la chambre criminelle, saisie du dossier Bettencourt.
Le 29 janvier, Me Herzog se félicite auprès de M. Sarkozy du travail de leur informateur, qui a « bossé ». Ainsi, M. Azibert se serait vanté d'avoir déjeuné avec l'avocat général – qui dément – et recueilli des informations sur l'avis que s'apprêtait à rendre le rapporteur du dossier Bettencourt. Me Herzog se montre optimiste sur une annulation de la saisie des agendas… « Sauf si le droit finit par l'emporter », confesse-t-il.
« CES BÂTARDS DE BORDEAUX »
Une autre conversation, du 30 janvier, laisse d'ailleurs apparaître que M. Azibert a eu accès à l'avis du rapporteur (adressé à toutes les parties), qui conclut à l'annulation de la saisie des agendas et au retrait des mentions relatives à ces documents dans l'enquête Bettencourt. « Ce qui va faire du boulot à ces bâtards de Bordeaux », lâche Me Herzog. Ces propos rappellent la tension entre les magistrats bordelais chargés de l'affaire Bettencourt et M. Sarkozy, qui n'a jamais digéré sa mise en examen pour « abus de faiblesse », le 21 mars 2013 – quand bien même fut-elle suivie, le 7 octobre 2013, d'une ordonnance de non-lieu…
La synthèse évoque une discussion, le 1er février, entre M. Sarkozy et son conseil, à qui il demande de l'appeler sur sa ligne officielle, pour, dit-il, « qu'on ait l'impression d'avoir une conversation », et berner les enquêteurs. Quatre jours plus tard, M. Sarkozy se dit prêt à aider M. Azibert à obtenir un poste à Monaco, en récompense de ses services. Me Herzog confie avoir rassuré le magistrat en ces termes : « Tu rigoles, avec ce que tu fais. »
Le 11 février, Me Herzog, qui vient de parler avec M. Azibert, annonce à son client que le magistrat a rencontré la veille un conseiller à la Cour de cassation, et qu'il s'apprête à en voir « un troisième », juste avant que les juges ne délibèrent, le lendemain.
Par ailleurs, une conversation du 1er février suggère que les deux hommes ont un autre informateur de premier plan. M. Sarkozy, informé d'un projet de perquisition de ses bureaux par les juges qui instruisent sa plainte contre le site Mediapart dans l'affaire libyenne, demande à son avocat « de prendre contact avec nos amis pour qu'ils soient attentifs ». Bien que dubitatif, Me Herzog lui répond : « Je vais quand même appeler mon correspondant ce matin parce qu'ils sont obligés de passer par lui. »