Le Monde.fr | 11.02.2014 à 12h23 | Par Nathalie Guibert
Le porte-avions "Charles-de-Gaulle", à Toulon.
Ce fut un échec porteur de leçons pour l'avenir. En 2005, la France avait envisagé de fabriquer son deuxième porte-avions avec la Grande-Bretagne. Trois ans plus tard, le projet commun capotait. Il a généré un surcoût de 200 millions d'euros en 2013 « sans véritable contrepartie pour la France », dénonce aujourd'hui la Cour des comptes dans son rapport annuel publié mardi 11 février. Cette somme n'est pas aberrante à l'échelle des programmes de défense, dont l'horizon porte sur plusieurs dizaines d'années – et d'aucuns soulignent que le scandale du logiciel défectueux de la paie militaire, Louvois, coûte de l'ordre de 200 millions par an à l'Etat. Mais en période de restrictions budgétaires, la Cour en profite pour lancer un avertissement pour les partenariats d'armement en cours.
La juridiction financière estime que le gouvernement a mal défendu ses intérêts alors que cet accord bilatéral était selon elle « voué à l'échec ». Le projet signé en 2006 s'est résumé à « un achat sur étagère par la France au Royaume-Uni de certaines études ». Elles devaient certes permettre à la marine française de gagner du temps sur le développement de son propre bâtiment. Mais Paris s'est engagé alors même que « les éléments nécessaires à une véritable coopération industrielle faisaient défaut ». Dès le début, les autorités britanniques ont indiqué « sans ambiguïté » qu'elles ne partageraient pas la construction industrielle des bateaux. Le résultat fut une « impasse » pour l'allié français.
LE DÉBAT SUR CET ARMEMENT MAJEUR RELANCÉ
En exhumant cette affaire, la Cour des comptes relance le débat, récurrent en France, sur cet armement majeur que le pays, avec les Etats-Unis, est seul à maîtriser. Le Charles-de-Gaulle entré en service en 2001, restera seul, or il doit régulièrement être mis à quai pour maintenance. La décision d'acquérir un deuxième porte-avion qui aurait permis la « permanence à la mer » avait été validée en 1980, avant d'être suspendue cinq fois en raison des gels de crédits de la défense, puis de facto abandonnée en 2013 : le nouveau Livre blanc de la défense ne mentionne plus la question.
Récemment, le gouvernement a tranché pour une « rénovation à mi-vie » du Charles-de-Gaulle. L'arrêt durera entre septembre 2016 et février 2018, et coûtera 1,3 milliards d'euros (soit l'équivalent de la moitié du prix du bâtiment neuf). Il s'agit de recharger les deux cœurs nucléaires du bateau, de vérifier des centaines d'équipements et de moderniser les armements. Le précédent arrêt avait eu lieu en 2008.
La défense étant sous contrainte financière sévère, certains critiquent cette décision. « Allez demander au président iranien Rohani ou à feu le régime de Kadhafi à quoi servent les porte-avions français et américains ! », rétorque l'amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées. Parce que cet outil stratégique est toujours considéré comme un attribut de la puissance, les marines de guerre des grands émergents, Inde et Chine au premier rang, sont en train de s'en doter.
LES PROGRAMMES AMÉRICAIN ET BRITANNIQUE
La Navy américaine avait proposé de réduire de 11 à 10, voire 9, le nombre de ses porte-avions pour répondre aux exigences des coupes budgétaires dans la défense – 700 milliards de dollars dans les dix ans. Mais l'arrêt annoncé du USS George-Washington a déclenché une bataille politique au Congrès. Lundi 10 février, le Wall Street journal indiquait que la Maison blanche avait tranché en faveur du maintien en service du bateau. Il sera être rénové à mi-vie en 2016 pour la somme de 4,7 milliards de dollars (environ 3,5 milliards d'euros).
De son côté, le Royaume-Uni a décidé en 2010 de remiser ses bâtiments sous la pression budgétaire, assumant ainsi de se priver pendant dix ans de porte-aéronefs. Si la contrainte financière ne rattrape pas la marine royale d'ici là, elle mettra à l'eau deux bateaux neufs en 2020. Leur conception tourne le dos aux promesses du sommet franco-britannique de Lancaster House de la fin 2010. Car la marine britannique utilisera des avions de chasse américains F35 à décollage vertical, et non un système à catapulte comme le Charles-de-Gaulle.
Aujourd'hui, l'aéronavale française travaille donc de plus en plus étroitement avec son homologue américaine, comme vient d'en témoigner un important exercice mené conjointement dans le Golfe persique.