LE MONDE | 11.02.2014 à 09h56 • Mis à jour le 11.02.2014 à 10h08 | Par Service France
Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, le 7 septembre 2012.
Dans son rapport annuel dévoilée mardi 11 février, la Cour des comptes déplore la gestion de la caisse de retraites pour les auto-entrepreneurs et critique l’indemnisation des victimes de l’amiante.
La caisse de retraite des professions libérales en accusation
« Gestion désordonnée », « service déplorable » : le jugement de la Cour des comptes est particulièrement sévère sur la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse des professions libérales (Cipav), qui regroupe 540 000 affiliés architectes, géomètres ou certains auto-entrepreneurs. Selon la Cour, cette caisse de retraite, la plus importante des professions libérales, doit « faire l'objet d'un plan de redressement immédiat ».
En 2012, à peine 48 % des pensions des nouveaux retraités du régime étaient versées à temps, soit dans les trois mois suivant le départ en retraite. 25 % étaient versées avec trois à six mois de retard, et 27 % avec plus de six mois de retard. A comparer aux 96,6 % des pensions du régime général « payées le premier jour du mois qui suit la demande », selon la Cour des comptes.
Les auteurs du rapport s'en prennent aux étonnantes pratiques de la caisse envers les auto-entrepreneurs. « La Cipav n'a toujours pas inscrit les cotisations des auto-entrepreneurs sur leurs comptes et n'a donc pas encore enregistré leurs droits à la retraite. Elle limite (…), en l'absence de toute base légale, leurs droits à pension complémentaire », écrivent-ils. Le président de la Cipav répond que les conséquences de l'intégration des auto-entrepreneurs « n'avaient pas été mûrement réfléchies ni anticipées par le législateur ». Il plaide que la caisse a simplement voulu « éviter les effets d'aubaine et ne pas déséquilibrer les régimes ».
La santé précaire des détenus en prison
La Cour des comptes souligne une fois encore les problèmes de prise en charge psychiatrique des détenus, dont l'accès aux soins est « loin de toujours pleinement respecter les droits fondamentaux ». On ne sait même pas exactement combien de malades mentaux sont incarcérés. « Au moins un trouble psychiatrique » est identifié chez huit détenus sur dix, et le taux de schizophrènes serait quatre fois plus important qu'à l'extérieur, selon la dernière étude disponible, qui remonte à 2003. Les chiffres de la Cour eux-mêmes ne sont guère à jour.
Vingt ans après la loi qui a confié les soins des détenus au ministère de la santé, l'offre de soins « reste incomplète » en dépit d'un réel effort de rattrapage (les équipes sanitaires ont presque doublé entre 1997 et 2012). Il reste difficile de recruter des personnels soignants en prison, dans des locaux souvent délabrés. Les places d'hospitalisation réservées aux détenus restent faibles (182 lits pour 77 883 détenus), surtout en psychiatrie, et la situation des handicapés en détention est « préoccupante » – le nombre de détenus de plus de 60 ans a doublé en quinze ans.
Enfin, la couverture sociale des détenus, théoriquement générale, se heurte en pratique à mille difficultés et la Cour somme le gouvernement d'organiser une réelle « politique de santé publique ».
Les ratés de l'indemnisation des victimes de l'amiante
La Cour critique la complexité et les dysfonctionnements du système d'indemnisation des victimes de l'amiante. Elle met en avant des ruptures d'égalité entre victimes, occasionnant des abus et des détournements. Ainsi, des préretraites financées par l'un des fonds d'indemnisation ont été accordées sans justification à des salariés pour éviter des licenciements économiques. La Cour souligne en outre la quasi-absence de responsabilité de fait des entreprises dans lesquelles des salariés ont été exposés à l'amiante, puisque le financement du dispositif d'indemnisation est supporté par l'ensemble des entreprises françaises. En dépit de quelques progrès, la Cour relève aussi la lenteur du versement des indemnités et l'abondance de contentieux.
PPP à l'hôpital, une procédure « mal maîtrisée »
La Cour ne dénonce pas le principe des partenariats publics privés (PPP), mais l'utilisation qu'en ont faite les pouvoirs publics dans les années 2000, et leur aveuglement. Ceux-ci avaient fortement incité les hôpitaux à recourir aux PPP, qui permettent à des structures publiques de faire financer leur modernisation par un constructeur privé auquel elles payent par la suite un loyer.
Quatorze projets s'inscrivant dans le cadre du plan Hôpital 2007 ont été analysés. Les critiques sont nombreuses : précipitation dans les décisions, insuffisance d'accompagnement par les tutelles dans la négociation, surdimensionnement des projets, programmation insuffisante des besoins, entre autres.
Carences dans la protection de l'enfance en danger
Les pouvoirs publics font tout pour le faire connaître, mais le fonctionnement du 119, le numéro d'écoute gratuit destiné à signaler des enfants en danger, doit être amélioré, selon la Cour des comptes. Entre 2010 et 2012, sur le million d'appels reçus chaque année, le service a répondu à 600 000 d'entre eux. Quelque 33 000 ont été traités et finalement 12 000 ont donné lieu à une transmission d'information préoccupante aux cellules compétentes dans les départements.
Comme pour tout numéro destiné au grand public, il n'est pas anormal qu'une partie importante des appels soit « hors sujet ». Cependant, la proportion de ces appels inadéquats, estimés à quatre sur cinq, apparaît « singulièrement élevée » à la Cour et appelle une « expertise technique approfondie ». La question du « ciblage des actions de communication » sur le 119 devrait également être posée, selon les magistrats.
Autre constat « inquiétant », quelque 24 000 appels ont été jugés intéressants mais personne n'était disponible pour y répondre. Une situation « d'autant plus regrettable » que les appels au 119 permettent souvent de déceler des situations qui échappent jusque-là aux radars des services sociaux : ils concernent dans 60 % des cas des enfants qui n'avaient jamais été signalés.
Service France