Le Monde.fr avec AFP | 05.02.2014 à 11h47 | Par Hélène Sallon
Le ministre chypriote des affaires étrangères Ioannis Kasoulides en compagnie de militaires danois sur une frégate escortant les transports d'armes chimiques hors de Syrie, le 3 février.
L'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC), qui supervise le processus de démantèlement de l'arsenal chimique syrien mis en place dans le cadre d'un accord de compromis négocié par la Russie et les Etats-Unis en septembre, a estimé à six à huit semaines le retard pris par la Syrie par rapport au calendrier prévu.
Un retard considéré par certains diplomates comme une volonté délibérée du régime syrien. Mardi 4 février, le ministre des affaires étrangères français, Laurent Fabius, a estimé que le régime syrien « freine sur la destruction des armes chimiques ». Avant lui, le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, a jugé « inacceptable » le rythme de l'enlèvement des armes chimiques en Syrie et exhorté le président Bachar Al-Assad de respecter ses obligations internationales en matière de destruction de son arsenal chimique.
Pour sa défense, Damas et son allié russe imputent ce retard à des facteurs pratiques et sécuritaires liés à la poursuite du conflit syrien. Mardi, le vice-ministre des affaires étrangères russe, Guennadi Gatilov, a assuré que la Syrie pourrait tenir ses engagements et se séparer d'ici le 1er mars de l'intégralité de son stock de produits permettant la fabrication d'armes chimiques.
En dernier recours, il reviendra au Conseil de sécurité des Nations unies (ONU) de trancher. Le rapport intermédiaire de la coordinatrice de la mission de l'ONU et de l'OIAC, Sigrid Kaag, doit lui être présenté jeudi 6 février.
Lire : Syrie : l'ONU confirme l'utilisation d'armes chimiques dans cinq sites
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/12/13/syrie-l-onu-confirme-l-utilisation-d-armes-chimiques-dans-cinq-sites_4333695_3218.html
L'accord américano-russe et la résolution 2118
Les Etats-Unis et la Russie ont conclu, le 14 septembre2013, un accord pour éliminer les armes chimiques en Syrie sur la base des engagements pris par le régime de Bachar Al-Assad, après le massacre de la Ghouta du 21 août 2013, bombardement au gaz sarin qui avait fait plusieurs centaines de morts dans des faubourgs de Damas. Le même jour du 14 septembre, le régime syrien adhérait à la Convention pour l'interdiction des armes chimiques.
Lire : La Syrie a transmis les données sur son arsenal chimique
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/09/20/la-syrie-a-transmis-les-donnees-sur-son-arsenal-chimique_3481951_3218.html
Le démantèlement du programme syrien d'armes chimiques est placé sous la responsabilité de l'OIAC, à La Haye. Il est encadré par la résolution 2118, adoptée à l'unanimité le 27 septembre, par le Conseil de sécurité de l'ONU.
Selon cet accord-cadre, la totalité de l'arsenal syrien doit être détruite au 30 juin 2014. Damas a déclaré posséder 1 290 tonnes d'armes chimiques, dont 300 tonnes de gaz moutarde et du sarin. Le reste de l'arsenal serait composé d'éléments chimiques liquides, stockés sous forme binaire, c'est-à-dire sous la forme de deux produits chimiques, appelés « précurseurs », qui sont mélangés juste avant l'emploi. La Syrie a déclaré disposer de 23 sites.
Lire : "Les informations des services français sur le programme chimique syrien" [PDF]
http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/fichiers_joints/syrie_synthese_nationale_de_renseignement_declassifie_02_09_2013.pdf
http://apps.washingtonpost.com/g/page/world/what-chemical-weapons-does-syria-have/454/
Infographie du Washington Post sur l'arsenal chimique syrien
Un recours à la force conditionnel
La résolution 2118 prévoit la possibilité pour le Conseil de sécurité de prononcer des sanctions si Damas ne respecte pas ses engagements. Cependant, il ne s'agit pas de sanctions automatiques. En cas de violation du plan de désarmement, il faudrait une deuxième résolution « sous chapitre VII de la charte de l'ONU », qui autorise le recours à la force ou des sanctions contre un Etat qui viole ses obligations internationales. Ce qui laisse à la Russie, allié de Damas, un droit de regard et une possibilité de blocage. Or Moscou a déjà mis son veto à trois résolutions du Conseil depuis le début de la crise syrienne en mars 2011.
Le Conseil exprime aussi « sa conviction profonde que les individus responsables de l'utilisation d'armes chimiques en Syrie devraient rendre des comptes », et demande à tous les Etats membres de s'abstenir d'aider les groupes armés d'opposition à se procurer des armes chimiques. Mais il ne mentionne pas la Cour pénale internationale (CPI), habilitée à juger des crimes contre l'humanité. La Syrie n'étant pas membre de la CPI, il faudrait que le Conseil la saisisse, ce que Moscou refuse.
Lire : Accord Kerry-Lavrov sur la Syrie : la subtile diplomatie du chapitre VII
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/09/14/accord-kerry-lavrov-sur-la-syrie-la-subtile-diplomatie-du-chapitre-vii_3477768_3218.html
Dans les locaux de la Société fédérale pour le traitement des armes et résidus d'armement chimiques (Geka), à Munster, lors d'une simulation de destruction d'armes chimiques, en octobre 2013.
La mise sous scellés des armes et la neutralisation des sites
Du 1er au 31 octobre, vingt-sept inspecteurs de l'OIAC se sont rendus en Syrie pour passer en revue les différents sites de production d'agents chimiques déclarés par Damas et superviser leur destruction ou leur neutralisation. Dans son premier rapport, publié début novembre, l'équipe affirme avoir visité 21 des 23 sites déclarés par la Syrie, et 39 des 41 installations y étant localisées.
Seuls deux sites près de Damas et d'Alep n'ont pu être inspectés « pour des raisons de sécurité », les violences dans la zone empêchant d'y accéder. Selon Damas, leur équipement chimique avait déjà été transféré dans d'autres sites passés au crible. Dans le document, l'OIAC se dit « satisfaite d'avoir inspecté, et d'avoir vu détruits, tous les équipements essentiels de production, assemblage, remplissage déclarés » et se félicite de la coopération dont ont fait preuve les autorités syriennes.
Ses 27 inspecteurs, accompagnés de 50 experts de l'ONU, ont pu aussi placer des scellés « impossibles à briser » sur l'ensemble du stock d'agents et d'armes chimiques déclaré par Damas. Ils ont supervisé la destruction de têtes de missile, de bombes et d'équipements pour mélanger les produits chimiques.
Lire : Syrie : les armes chimiques placées sous scellés
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/10/31/syrie-les-installations-de-production-d-armes-chimiques-rendues-inutilisables_3505869_3218.html
Le calendrier de transfert et de destruction
Le plan de désarmement chimique de la Syrie approuvé par l'ONU prévoit que la totalité de l'arsenal chimique syrien soit détruite au 30 juin 2014. Plusieurs échéances intermédiaires ont été fixées :
Au 31 décembre, la Syrie devait avoir évacué les 700 tonnes d'agents chimiques les plus dangereux déclarés, notamment ceux intervenant dans la composition du gaz moutarde et du gaz sarin.
Au 5 février, Damas devait avoir évacué la majorité des autres armes chimiques et des précurseurs entrant dans la composition de produits toxiques, soit 500 tonnes d'agents chimiques dits de « catégorie 2 ».
D'ici au 1er mars, environ 120 tonnes d'isopropanol, pouvant servir à la fabrication de sarin, doivent être détruites en Syrie.
Les installations de production déclarées par le régime seront détruites entre le 15 décembre et le 15 mars.
Les modalités de transfert et de destruction
Selon la feuille de route adoptée par le conseil exécutif de l'OIAC mi-novembre, les agents chimiques doivent être évacués depuis le port syrien de Lattaquié par deux cargos, escortés par les navires militaires norvégien et danois, à destination du port italien de Gioia Tauro.
A l'Institut de recherche sur les technologies de protection et la protection nucléaire, biologique et chimique (WIS) de la Bundeswehr, à Munster, en Allemagne. Des employés examinent un échantillon de gaz similaire au sarin.
Les 700 tonnes d'agents chimiques les plus potentiellement dangereux doivent être transférés sur le MV Cape Ray, un navire de la marine américaine spécialement équipé pour leur destruction, et détruits dans les eaux internationales. La destruction de ces agents devrait se faire par hydrolyse en haute mer.
Lire : Syrie : le parcours tortueux des armes chimiques
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/01/16/le-parcours-complique-des-armes-chimiques-syriennes_4349537_3218.html
Des sociétés privées doivent se charger des agents chimiques moins dangereux, avec la coopération d'Etats. Le Royaume-Uni a ainsi accepté que 150 tonnes de « précurseurs B » (des produits chimiques industriels ne pouvant servir à des armes neurotoxiques qu'après avoir été mélangés à d'autres produits, des « précurseurs A ») soient détruits sur son sol. Il a retenu pour cette mission le géant français, Veolia Environnement, qui doit les traiter dans son incinérateur sis à Ellesmere Port, dans le Cheshire.
L'Allemagne a, pour sa part, proposé de détruire 370 tonnes d'armes chimiques. Cette mission sera effectuée par la Société fédérale pour le traitement des armes et résidus d'armement chimiques (Geka) basée à Munster (Basse-Saxe).
Des retards dans la mise en application du plan
Le transfert à l'étranger et l'élimination des agents chimiques les plus dangereux de l'arsenal syrien pourraient ne pas être terminés avant la fin du mois de juin. Damas fait état de problèmes pratiques et sécuritaires empêchant l'acheminement en toute sécurité de son arsenal jusqu'au port de Lattaquié.
Fin janvier, seuls 5 % des 700 tonnes d'agents chimiques les plus dangereux déclarés par Damas, ont été transférés hors de Syrie. Seulement deux cargaisons sont parties, les 7 et 27 janvier, via le port de Lattaquié. L'évacuation des agents chimiques de « catégorie 2 » ne sera pas achevée au 5 février.
Lire : Armes chimiques : du retard pour leur sortie de Syrie
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/12/09/armes-chimiques-du-retard-pour-leur-sortie-de-syrie_3527939_3218.html