Le Monde.fr | 27.01.2014 à 08h24 • Mis à jour le 27.01.2014 à 17h23 | Par Chloé Hecketsweiler
Les derniers chiffres de l'observatoire de l'investissement Trendeo, publiés lundi 27 janvier, ont de quoi inquiéter le gouvernement : pour la première fois depuis quatre ans, il y a eu davantage d'emplois détruits dans les activités de recherche et développement (R & D) que d'emplois créés, soit 1 165 contre 1027.
Pire, les destructions d'emplois les plus importantes ont eu lieu dans des secteurs que le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, considère comme stratégiques : l'informatique et l'électronique (plus de 500 emplois nets supprimés), et surtout l'industrie pharmaceutique (plus de 1 000 emplois).
Alcatel Lucent, qui est le deuxième plus gros dépositaire de brevets en France (872 dépôts en 2012), a ainsi annoncé en 2013 la suppression de plus de 500 emplois en R & D. PSA et Renault, deux autres poids lourds de l'innovation, avec respectivement 1 348 et 607 brevets enregistrés en 2012, ont eux aussi annoncé d'importantes réductions d'effectifs. Sanofi, le géant de la pharmacie française, a finalisé, mi-janvier, un plan qui supprimera 170 emplois dans ses centres de R & D en France.
DAVANTAGE DE DÉPENSES DANS LA RECHERCHE PUBLIQUE
Trois grandes tendances expliquent le décrochage de ces emplois très qualifiés, malgré les promesses maintes fois réitérées par le gouvernement d'en créer davantage pour relancer la croissance. D'abord, l'insuffisance globale des investissements en recherche, notamment dans le privé. La France investit des ressources importantes dans la R & D (2,2 % de son produit intérieur brut, PIB) en 2012, mais ce chiffre est très loin du score des Etats-Unis (2,7 % en 2012), de l'Allemagne (2,9 %) ou encore du Japon (3,5 %).
Le profil de ses investissements est aussi très différent. Alors que la recherche publique n'a créé que 20 % des emplois comptabilisés par Trendeo sur la période 2009-2013, elle représente 36 % des dépenses contre 25 % aux Etats-Unis ou 22 % au Japon. Et, en France, une part significative de cet effort est consacré à la recherche fondamentale, qui capte 20 % des budgets, contre seulement 13 % aux Etats-Unis et 10 % en Chine et 5 % au Royaume-Uni. Résultat : « les investissements en R & D en France génèrent relativement peu de résultats en termes de nouveaux produits innovants, de brevets et de croissance », constatent les experts de Booz & Company, dans une étude publiée en octobre 2013.
L'exemple de la pharmacie est particulièrement emblématique, selon Jacques Souquet, président et fondateur de Supersonic Imagine, une société spécialisée dans l’échographie. « Il y a encore quelques années, la France était incontournable, mais la pression sur le prix des médicaments, et la hausse des contraintes réglementaires ont rendu ce choix moins évident. » Tous secteurs confondus, la R & D des entreprises en France stagne ainsi à 1,43 % du PIB, contre 1,58 % pour la moyenne des pays de l'OCDE.
Dernier facteur expliquant l'évolution négative de l'emploi dans la R &D : le déplacement du centre de gravité de l'économie mondiale. « L'ère de l'hégémonie euro-américaine est finie, souligne Vincent Genet, associé chez Alcimed. On trouve des chercheurs à la pointe de leur discipline en Asie notamment, où les grands groupes n'hésitent plus à ouvrir de grands centres de recherche. » M. Genet cite l'exemple de Singapour, devenu en quelques années une plateforme mondiale dans le domaine des sciences de la vie, avec des poids lourds comme le géant de la pharmacie Novartis ou le leader mondial de l'agroalimentaire Nestlé.