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Cible privilégiée du racisme, Christiane Taubira réplique
Le 06.11.2013 à 09h28 • Mis à jour le 06.11.2013 à 11h32
La ministre de la justice estime que "ces attaques racistes sont une attaque au cœur de la République" – ici Mme Taubira sur les marches du palais de l'Elysée, le 3 novembre.
Christiane Taubira s'étonne dans une interview publiée mercredi 6 novembre dans Libération que personne ne souligne les dangers pour "la cohésion sociale" que constituent les attaques racistes dont elle a été récemment victime.
Comparée à un singe sur la page Facebook d'une candidate Front national (FN), exclue depuis, et traitée de "guenon" par des enfants lors d'une manifestation contre le mariage homosexuel, la ministre de la justice estime que "ces attaques racistes sont une attaque au cœur de la République". Tout en soulignant avoir "eu beaucoup de messages de soutien", elle assure que "le sujet, ce n'est pas [sa] personne".
"Ce qui m'étonne le plus, c'est qu'il n'y a pas eu de belle et haute voix qui se soit levée pour alerter sur la dérive de la société française, dit-elle. [Il] s'agit très clairement d'inhibitions qui disparaissent, de digues qui tombent."
"Je me ramasse depuis longtemps du 'macaque', du 'y a bon Banania'", poursuit la garde des sceaux. Mme Taubira estime qu'une réponse de la justice est nécessaire en pareil cas : "Il faut rappeler que le racisme n'est pas une opinion, c'est un délit." Cependant, précise-t-elle, la justice ne suffit pas à "réparer les pathologies profondes qui minent la démocratie. Des millions de personnes sont mises en cause quand on me traite de guenon. Des millions de gamines savent qu'on peut les traiter de guenons dans les cours de récréation !", déplore-t-elle.
Saisi par le défenseur des droits, le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire après les propos de l'ex-candidate FN. Le parti d'extrême droite a porté plainte contre Mme Taubira devant la Cour de justice de la République pour avoir répliqué que la pensée du Front national, "c'est les Noirs dans les branches des arbres, les Arabes à la mer, les homosexuels dans la Seine, les Juifs au four".
Dans l'interview à Libération, Mme Taubira juge que cette dérive procède "d'un long glissement… Périodiquement, et encore sous le dernier quinquennat, on a construit un ennemi intérieur. Ceux qui sont incapables de tracer un horizon passent leur temps à dire au peuple français qu'il est envahi, assiégé, en danger".
Interrogée pour savoir si "l'institutionnalisation" du FN a favorisé cette montée, la ministre répond "incontestablement". "Même si Mme Le Pen fait semblant d'être présentable, les Français savent ce que représente son parti – et son idéologie, qu'elle n'a d'ailleurs jamais reniée", dit-elle.
"Lorsqu'on regarde les chiffres de l'immigration, il faut arrêter d'en faire un feuilleton quotidien ! En quoi l'immigration est-elle un problème ? En quoi met-elle en danger la société française ?"
Interrogée sur les polémiques autour des Roms, Mme Taubira regrette que "ça [fasse] un an qu'on débat là-dessus pratiquement tous les jours ! On continue à dire aux Français : 'Vous êtes 67 millions, mais continuez à mettre votre bouclier sur vos têtes parce que vous êtes assiégés', au lieu de généraliser des réponses efficaces. La parole politique doit être plus claire, plus déterminée, plus ancrée historiquement et plus projetée dans l'avenir".
Plainte du CRAN contre Anne-Sophie Leclère
Le Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) a déposé plainte mercredi pour "injure raciale" contre l'ex-candidate Front national (FN) aux municipales qui avait comparé Christiane Taubira à un singe, a annoncé son président. "Nous portons plainte contre Anne-Sophie Leclère parce que ses propos sont inadmissibles. Ce n'est pas seulement Mme Taubira qui est mise en cause mais tous les Noirs de France", a déclaré Louis-Georges Tin.
"Le racisme n'est pas une opinion mais un délit", a-t-il dit à la presse devant le palais de justice de Paris. "Mais un procès ne suffira pas, il faudrait des mesures politiques fortes", a-t-il estimé, demandant la mise en place d'un grand plan national contre le racisme. Le CRAN a "dans ses statuts pour objectifs notamment de défendre les Noirs" et est donc légitime pour agir, a souligné son avocat, Me Kenneth Feliho. Pour lui, l'enjeu dépasse Mme Taubira, "un modèle pour de jeunes Noirs". "Anne-Sophie Leclère a utilisé des images déshumanisantes pour frapper un système fort de réussite", a-t-il regretté.[/b]