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Quotient familial, mode d'emploi
Le 3 juin 2013 à 12:32 (Mis à jour: 15:28) Une famille gagnant 80 000 euros dans l’année paye actuellement 10 467 euros d’impôt sur le revenu sans enfant et 6 467 euros avec deux enfants.
Décryptage La réforme se fera sentir à partir de 5370 euros de revenus mensuels pour les couples à un enfant, 5850 pour les couples à deux enfants, 6820 pour les couples à trois enfants.«Sauver» la politique familiale : c'est l'objectif du train de réformes annoncé ce matin par le gouvernement. Des réformes qui consistent surtout en économies, dont la principale est une nouvelle baisse du plafond du quotient familial. Le bénéfice maximum de celui-ci passera de 2000 à 1500 euros par demi-part, permettant près d'un milliard d'euros de recettes pour l'Etat – c'est-à-dire de prélèvements supplémentaires pour les ménages. Pourtant, peu d'entre eux connaissent le fonctionnement de ce mécanisme complexe, et même le bénéfice qu'ils en tirent. Voici les éléments-clés de celui-ci et de sa réforme.
Qu’est-ce que le quotient familial ?Instauré en 1945, le quotient familial est une modalité de calcul de l’impôt qui profite à 7,56 millions de foyers en France. Il permet de diminuer le montant d'impôt sur le revenu en fonction du nombre d’enfants à charge du foyer. Ces derniers sont pris en compte sous la forme de «parts» : les deux premiers enfants représentent chacun une demi-part, ainsi que chaque enfant au-delà du troisième; ce dernier compte pour une part entière, comme chacun des parents lorsque ceux-ci sont mariés ou pacsés.
L’impôt se calcule alors en divisant les revenus nets du foyer par le nombre de parts, en appliquant le barême d’imposition au résultat, puis en remultipliant la somme obtenue par le nombre de parts. Selon une simulation effectuée par l’AFP, une famille gagnant 80 000 euros dans l’année paye actuellement 10 467 euros d’impôt sur le revenu sans enfant et seulement 6 467 euros avec deux enfants. Un couple disposant de 40 000 euros de revenus paye, lui, 2362 euros d’impôt sur le revenu sans enfant, et 1023 euros avec deux enfants.
Jusqu'à la réforme annoncée aujourd'hui, le bénéfice du quotient familial – c'est-à-dire l'écart avec l'impôt payé par un couple de même revenu, mais sans enfants – était cependant plafonné à 2000 euros par demi-part.
A qui profite ce système ?Le quotient familial profite aux familles imposables ayant un ou plusieurs enfants. Il est donc particulièrement «rentable» pour les familles nombreuses. Du bon sens, selon ses défenseurs : sans le quotient, deux foyers aux mêmes revenus, mais dont l’un comprendrait cinq enfants et l’autre aucun, paieraient les mêmes impôts.
Mais l’efficacité du quotient familial augmente également avec le niveau de revenu. Selon l’économiste Thomas Piketty, il
«bénéficie de manière disproportionnée aux 10% des revenus les plus élevés». Pour ces 10%,
«le transfert net augmente soudain très fortement» par rapport aux déciles inférieurs, et ce malgré le plafonnement du bénéfice. Selon la chercheuse Christiane Marty, en 2009,
«les 10% de ménages avec les plus hauts revenus se partageaient 46% du total de la réduction d'impôt liée au quotient familial». Autre inconvénient du système, selon Piketty :
«Son fonctionnement est trop complexe, par conséquent ses effets réels sont mystérieux pour la grande majorité des contribuables. Heureux celui qui peut dire combien le quotient familial lui fait économiser d’impôt sur le revenu. [De plus, il]
est calculé sur les revenus de l’année précédente. Les parents d’un enfant né en janvier 2011 devront donc attendre jusqu’en septembre 2012 pour bénéficier de ses effets.» Cette complexité et cet effet de retard ont peut-être justement contribué au choix du gouvernement : ils rendent les effets de la mesure moins détectable qu’une baisse immédiate des allocations.
Qui va être concerné?Pour limiter la régressivité fiscale induite par le quotient familial, la gauche a introduit en 1981 le premier plafonnement de son bénéfice. Ce plafond avait été baissé une première fois par le gouvernement actuel, de 2360 à 2000 euros par demi-part. Le nouveau coup de rabot annoncé aujourd’hui fait passer ce plafond à 1500 euros : depuis le début du quinquennat, la baisse est donc de 36%.
Selon les projections du Haut conseil de la famille, la réforme devrait permettre une économie de 915 millions d’euros, et augmenter les impôts d’un million de ménages environ - 12% des familles avec enfants, selon Matignon. Le niveau de revenus à partir duquel la réforme se fera sentir est de 5370 euros pour les couples à un enfant, 5850 pour les couples à deux enfants, 6820 pour les couples à trois enfants. Quant au supplément d'impôt moyen, il serait de 64 euros par mois – plus encore pour les plus aisés parmi les aisés, ainsi que pour les familles nombreuses.
Bref, la réforme aura les effets d'une hausse d'impôt, alors que le gouvernement s'était engagé à ne pas alourdir le niveau des prélèvements obligatoires. Il se défendra en présentant la mesure comme la réduction d'une niche fiscale, sans empêcher ses détracteurs d'y voir une promesse brisée.