Le Monde.fr | 11.04.2014 à 10h15 • Mis à jour le 11.04.2014 à 10h41 | Par Samuel Laurent
Laurent Wauquiez profite de la perspective des élections européennes pour mettre en avant ses positions musclées : il réclame la sortie de la France de l'espace Schengen
Haro sur Bruxelles. Laurent Wauquiez profite de la perspective des élections européennes pour mettre en avant ses positions musclées : il réclame la sortie de la France de l'espace Schengen (qui définit notamment des règles d'immigration communes), arguant que ce système est inutile, voire contre-productif. M. Wauquiez cite plusieurs exemples, dont celui-ci : selon lui, l'Europe interdirait aux Etats de fixer des quotas sur le regroupement familial.
Ce qu'il a dit :
« L'Europe nous interdit de fixer des quotas en matière de regroupement familial. »
Pourquoi c'est plutôt faux ?
1. Peut-on faire des « quotas » de familles ?
De quoi parle-t-on ? Le principe du regroupement familial, c'est de permettre à la famille proche (conjoint, enfants) d'une personne immigrée régulièrement dans un pays et satisfaisant un certain nombre de critères, de la rejoindre.
Les quotas migratoires, eux, permettent à un pays de fixer un nombre de « places », par pays d'origine ou par profession. La France a lancé un embryon de cette politique avec les métiers en tensions, 291 métiers qui peinent à embaucher.
Laurent Wauquiez regrette qu'on ne puisse, en droit, instaurer de quotas sur le regroupement familial. En pratique, cela reviendrait à définir un nombre de regroupements autorisés par pays d'origine des migrants, par exemple. Selon quels critères ? Par pays ? Nombre d'enfants ? Situation du conjoint ?
Laurent Wauquiez: "il faut que la France sorte de Schengen" - 10/04
Jean-Jacques Bourdin recevait, jeudi matin, Laurent Wauquiez, le vice-président de l'UMP. Pour lui, la France doit sortir de l’espace Schengen. "Ca ne peut pas marcher parce que les pays européens n'ont pas la même situation par rapport à l'immigration. L'Allemagne a peu d'enfants, elle a besoin d'immigration. La France a plutôt beaucoup d'enfants, elle n'a pas besoin d'immigration", a-t-il déclaré.
2. La France l'interdit avant l'Europe
Mais contrairement à ce que dit M. Wauquiez, l’Europe n’'a rien à voir avec le fait qu'on ne puisse fixer de quotas au regroupement familial : c'est la loi Française depuis bien longtemps.
En 2008, Brice Hortefeux confiait au juriste Pierre Mazeaud une mission d'information sur le cadre constitutionnel de la politique d'immigration.
Y était rappelé un point essentiel, que Laurent Wauquiez fait mine d'oublier pour mieux accuser l'Europe : le regroupement familial est un droit, et ce depuis 1946, bien avant la fondation même de l'Europe politique.
« Dès 1993, le Conseil constitutionnel a trouvé le fondement du droit [au regroupement familial] dans le préambule de la constution de 1946 (aux termes duquel la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement). »
Le droit à la vie familiale a été consacré par le Conseil, qui prend aussi en compte le principe de la liberté du mariage.
Ces deux principes constitutionnels donnent au regroupement familial un caractère de droit, dans certaines limites, qui n'ont eu de cesse de se durcir : l'accueillant doit être en France depuis 18 mois de manière régulière, avoir un niveau de ressources suffisant, un logement à même d'accueillir décemment sa famille, ne pas présenter, ni lui ni sa famille, de menace pour l'ordre public et doit respecter les lois françaises sur la famille (sur la polygamie par exemple).
Si ces critères sont remplis, on ne peut refuser un regroupement familial au motif que le quota est atteint.
3. Le gouvernement auquel appartenait M. Wauquiez a voté l'interdiction de quotas sur le regroupement familial
Que dit ensuite le rapport de Pierre Mazeaud ? Qu'il serait théoriquement possible de modifier ce fait et de permettre d'établir des quotas de regroupement familial en changeant la Constitution. Mais, poursuit-il, cela ne suffirait pas. C’est alors que l'Europe entre en jeu.
Parallèlement à la jurisprudence française, la Cour de justice des communautés européennes a bâti la sienne. Elle date de 2006 (considérant 100, affaire C-540/03, 27 juin 2006) :
« Le critère de la capacité d'accueil de l'Etat membre peut être l'un des éléments pris en considération lors de l'examen d'une demande, mais ne saurait être interprété comme autorisant un quelconque système de quota ou un délai d'attente de trois ans imposé sans égard aux circonstances particulières des cas spécifiques. »
En clair, on ne peut opposer la capacité d'accueil au droit au regroupement familial.
En outre, le traité de Lisbonne, ratifié en 2007 par les parlementaires français à la demande du gouvernement Fillon, qui comptait M. Wauquiez parmi ses membres, prévoit deux dispositions qui empêcheraient de formuler des quotas de regroupement familial : la charte des droits fondamentaux et l’article 63 bis, qui réserve les quotas à l'immigration de travail.
Le député-maire du Puy semble l'oublier : le traité de Lisbonne reconnaît explicitement (article 63 bis) « le droit des Etats membres de fixer les volumes d'entrée des ressortissants de pays tiers, en provenance de pays tiers, sur leur territoire, dans le but d'y rechercher un emploi salarié ou non salarié », en clair, des quotas sur l'immigration de travail.
Quant à la charte des droits fondamentaux, elle consacre « le droit de se marier et le droit de fonder une famille ».
4. En résumé
Laurent Wauquiez n'a pas totalement tort : la justice européenne (et donc pas la Commission ou le Parlement) a consacré le fait que le regroupement familial ne puisse être soumis à quota.
Mais il omet sciemment de préciser qu'avant l’Europe, la France proscrivait déjà ce type de quotas. Et que la justice européenne a tenu compte des mêmes droits et principes fondamentaux (droit à fonder une famille) pour adopter une jurisprudence similaire. Opposer Paris et Bruxelles est en l'espèce infondé.
Le traité de Lisbonne, que son gouvernement a fait ratifier en 2007, excluait les quotas sur le regroupement familial. Sortir de Schengen ne changerait donc concrètement pas grand chose, puisqu'il faudrait dénoncer le traité de Lisbonne.
Enfin, la notion de quotas concernant le regroupement familial pose un grand nombre de questions : comment justifier d'autoriser les immigrés originaires de tel pays à faire venir leurs enfants et pas ceux de tel autre, par exemple ?