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Alain Juppé à la rencontre de la «pérestroïka birmane»
Publié le 14/01/2012 à 14:26Alain Juppé, samedi à Rangoun, avec trois opposants libérés la veille.
Le ministre des Affaires étrangère est arrivé à Rangoun pour une visite officielle de deux jours au cours de laquelle il rencontrera l'égérie de l'opposition, Aung San Suu Kyi.
Dès son arrivée à Rangoun, ce samedi, Alain Juppé a rencontré à l'ambassade de France trois prisonniers politiques, parmi les 651qui sont sortis de prison vendredi. Une vague de libérations saluée, notamment par la France et les États-Unis, comme un «signe important» de l'ouverture politique amorcée l'an dernier par les militaires au pouvoir depuis 1962. Parmi les dissidents libérés, le ministre des Affaires étrangères devait s'entretenir avec Min Ko Naing, l'un des leaders de la Génération 88.
Ex-dirigeant d'un réseau clandestin d'étudiants, les syndicats étant alors interdits, cet activiste de 49 ans a joué un rôle de premier plan dans le soulèvement de 1988 en faveur de la démocratie qui fut réprimé par la junte. Il a passé depuis la plupart de son temps derrière les barreaux, tout comme Khun Htun Oo et Ko Ko Gyi. À travers eux trois, Alain Juppé a rendu hommage au courage et à la ténacité des militants des droits de l'homme, alors que s'amorce en Birmanie un processus de réformes encore incertain.
Main tendue du pouvoirLe temps fort de la visite sera, dimanche, la rencontre avec celle que chacun ici nomme la «Dame», par discrétion autant que par respect, Aung San Suu Kyi. Dans la matinée, Alain Juppé s'entretiendra avec elle dans sa grande maison défraichie sur les bords du lac Inya, à Rangoun. En fin de journée, lors d'une réception, il lui remettra les insignes de commandeur dans l'ordre de la Légion d'honneur.
L'icône birmane de la lutte pour la démocratie, après 15 ans passés en résidence surveillée et en prison, s'est résolue à saisir la main tendue par le pouvoir. En novembre 2010, la Prix Nobel de la Paix a été libérée. En août dernier, elle a rencontré le chef de l'Etat, Thein Sein, un ex-général qui a pris en mars 2010 la tête d'un gouvernement civil, quoique demeurant sous l'œil des militaires. Des réformes spectaculaires ont été annoncées, comme l'assouplissement de la censure et la création de syndicats. En décembre, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti d'Ang San Suu Kyi, a été autorisée à participer aux élections législatives partielles prévues le 1er avril prochain. Le déroulement du scrutin aura valeur de test sur la sincérité réformatrice du nouveau pouvoir.
À Rangoun, Alain Juppé, premier chef de la diplomatie française à se rendre en Birmanie depuis son indépendance en 1948, a été précédé de peu par Hillary Clinton, le 1er décembre, et par William Hague, le 5 janvier. La chef du département d'État américaine et le chef du Foreign Office ont encouragé les réformes en cours mais jugé leur poursuite indispensable avant une levée des sanctions internationales qui pèsent sur la Birmanie. Alain Juppé devrait également s'en tenir à cette ligne. «Nous devons donner aux autorités birmanes un satisfecit, et cette visite en est un, mais nous leur dirons que nous attendons davantage», relève une source diplomatique. L'aide bilatérale française sera augmentée. L'Union européenne, elle, doit se prononcer avant le 30 avril sur les sanctions à l'encontre de la Birmanie.
Dans cette perspective, Paris a l'œil sur les priorités qui font figure de lignes rouges: la poursuite du dialogue politique, la libération effective de tous les prisonniers politiques (leur nombre fait débat) et le respect du droit des minorités ethniques. Un dernier volet jugé crucial après des décennies de lutte armée entre Rangoun et une pléiade de rebellions ethniques. La plupart d'entre-elles ont accepté le cessez-le-feu, comme les Karens, jeudi dernier. Mais d'autres groupes, tels les Kachins, s'y refusent toujours et la signature d'accords politiques s'annonce ardue.
«Le changement est irréversible» selon un célèbre blogueurLundi, Alain Juppé se rendra à Naypyidaw, la nouvelle capitale de l' «Union du Myanmar», construite en pleine forêt à 300 kilomètres au nord de Rangoun et inaugurée en 2005. Il s'y entretiendra avec le chef de l'Etat, les présidents des deux chambres et son homologue des Affaires étrangères. Des entretiens qui lui permettront peut-être de mieux cerner le cours imprévisible de la perestroïka birmane. Véritable transition, comme celle de l'Espagne post-franquiste ou aggiornamento cosmétique d'un pouvoir militaire en quête de survie? Le débat n'est pas tranché. Le souci d'accéder enfin aux grandes institutions internationales (Banque mondiale, FMI…), le souhait d'échapper à la mainmise chinoise en diversifiant ses partenariats constituent toutefois de puissants facteurs d'ouverture, note les observateurs.
«Le changement est irréversible, juge Nay Phone Latt, un célèbre blogueur de 32 ans, libéré vendredi après quatre ans de prison, mais il va falloir être malin et rester vigilant». La longue route de la Birmanie vers la démocratie ne fait que commencer.