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Censuré, Izneo se développe hors de l'iPad
Le 12.04.2013 à 19h46 • Mis à jour le 13.04.2013 à 13h33
Un album de "Blacksad" sur l'application Izneo pour iPad.
Les applications ne sont pas les seuls contenus à subir la maîtrise stricte du magasin en ligne d'Apple pour iPhone et iPad. Jeudi 11 avril, la ministre de l'économie, Fleur Pellerin, se rendait chez AppGratis, une application de recommandation supprimée de l'AppStore, pour dénoncer les pratiques "abusives" du géant américain en matière de contrôle des applications. La ministre, qui appelle à une "neutralité des services" pour éviter les suppressions "unilatérales" d'applications, a également rapidement évoqué le cas d'autres contenus supprimés par Apple : les bandes dessinées.Plus que la simple concurrence, la politique appliquée par Apple sur l'AppStore pose la question de la diffusion de la culture. Fin mars, le magasin en ligne français de bandes dessinées Izneo
"a eu trente heures pour retirer les BD", jugées pornographiques pour les américains,
"sous peine de suppression totale de l'application de l'AppStore", rapporte le 4 avril le site spécialisé IDBoox. Par zèle, le service n'a d'abord conservé que 1 200 BD sur les quelque 4 000 qu'elle offre, se séparant de classiques comme
Largo Winch,
XIII ou
Blake et Mortimer. 1 300 autres albums étaient de retour dans le magasin une semaine plus tard, ajoute le site spécialisé.
PEU D'INDICATIONS SUR LES CONTENUSLa suppression massive opérée par Izneo s'explique notamment par le peu de précisions des règles édictées par Apple. Celles appliquées à l'AppStore différeraient d'ailleurs de celles en vigueur sur l'iBookStore, la librairie en ligne d'Apple également disponible sur iDevices.
"Apple ne nous a donné aucune consigne sur ce qu'ils jugent comme pornographique ou non. Nous leur avons proposé de nous caler sur l'iBookstore pour retirer les titres, car nos BD sont aussi vendues dans la librairie en dehors de notre application, nous avons essuyé un refus", expliquait ainsi une source interne à Izneo, à IDBoox.
"Canal s'est créé avec le samedi soir. Les contenus sexy sont bien plus consommés dans la vente numérique que dans la vente physique", explique Izneo, pour qui l'incident a causé une perte de chiffre d'affaires jugée importante. D'abord lancée sur la Toile, la plateforme n'a véritablement décollé qu'à l'arrivée de l'iPad, début 2010, dont elle dépend en bonne partie désormais.
"C'est la première tablette couleur et la plus répandue. C'est la tablette qui a créé la BD numérique pour nous, en offrant l'intimité de lecture qu'on n'a pas avec un PC, notamment", explique Amélie Rétorré, directrice du développement d'Izneo, qui se refuse à commenter tout nouveau contact avec la firme américaine.
"Tout est compliqué, car il y a une différence d'appréciation culturelle. Ils ne nous donnent pas l'iBookStore en référence et il n'y avait pas de dialogue avant [cet épisode]
", explique le distributeur de BD.
"Apple est l'acteur qui a fait que les gens paient pour la musique. Ils imposent leurs règles, on s'y astreint, même si on ne serait pas contre plus de transparence", ajoute la directrice du développement, qui lie directement la diffusion des usages aux moyens de distribution.
LE "RÊVE EUROPÉEN""Nous, on rêve d'une autre alternative à Apple, Google et Microsoft, qui sont des acteurs américains. On rêve d'acteurs européens et de constructeurs européens avec lesquels on serait plus proche culturellement", ajoute Izneo. Les problèmes d'appréciation ne concernent pourtant pas que la société européenne. Comixology, le premier distributeur indépendant de BD numérique aux Etats-Unis, a ainsi supprimé de son catalogue un album de la série
Saga présentant une scène d'homosexualité, craignant une éventuelle réaction d'Apple.
Par ailleurs, le distributeur francophone est, lui, en discussions avancées avec des éditeurs pour enrichir son catalogue de mangas, pour l'instant au nombre d'une centaine.
"Les Japonais travaillent aussi sur la diffusion numérique de leurs catalogues et construisent les choses au rythme de leur propre marché. Les éditeurs japonais sont représentés en France par des éditeurs sous licence avec qui on travaille, en plus des Japonais", précise Amélie Rétorré.
Le risque que certaines séries soient affectées par la politique d'Apple ne serait pas encore entré dans les discussions.
"Nous allons commencer par travailler des catalogues shonen [destinés aux adolescents].
De toute façon les contenus seront disponibles sur le Web et [les systèmes d'exploitation concurrents]
Android ou Windows... Il faut vraiment toucher tous les lecteurs", pondère encore la responsable.
DÉPLOIEMENT SUR D'AUTRES SYSTÈMES"Nous sommes très contents de l'application sur Windows 8 [pour tablettes et PC]
, disponible depuis le Salon d'Angoulême, avec une bonne expérience de lecture. On a été agréablement surpris par la réception, avec près de 20 000 téléchargements", décrit Izneo. L'application actuelle sera d'ailleurs déclinée sur des séries ou "univers".
"Nous ne sommes pas loin du taux de transformation [téléchargements de l'application menant à un achat]
d'un iPad, on travaille d'ailleurs notre marketing pour s'en rapprocher", ajoute l'entreprise.
L'enjeu est aussi économique pour la plateforme, qui doit composer avec l'interdiction de passer outre les systèmes de paiement imposés par Apple et Google, sur lesquels ils prennent une commission de 30 %.
"On peut proposer un abonnement, ce qu'on ne fait pas chez Apple. Microsoft propose un système d'achat au sein de l'application, qu'on n'a pas choisi, au profit d'un enregistrement Web", sur lequel Microsoft ne prend pas de commission, explique Izneo. Le géant américain s'est également engagé dans la promotion du service à plusieurs occasions.
DES DIFFICULTÉS SUR ANDROIDSi Microsoft déploie tant d'efforts, c'est que la maigre part de marché de ses tablettes lancées fin 2012 ne lui permet pas d'attirer autant de développeurs que ses concurrents. Quand Apple domine le marché, Android grignote peu à peu des parts, pouvant dépasser l'iPad en termes de livraisons d'ici à la fin de l'année. Cela avec du matériel bon marché, sans pour autant convaincre les utilisateurs et entreprises. En cause notamment, des problèmes de performances récurrents et un certain désintérêt des développeurs, la plateforme étant bien moins rémunératrice que les autres systèmes et Google fournissant moins de soutien que ses concurrents.
"Sur Android, on a un souci de monétisation des livres. On songe à leur parler différemment que sur les autres systèmes, par exemple avec des petits prix, des livres gratuits, des essais... Nous pensons construire des librairies différentes selon les systèmes utilisés", détaille la directrice du développement du service, qui évoque également ces difficultés techniques qui entravent la qualité de lecture.
"On suit le marché de façon concomitante, opportuniste... Nous sommes vraiment liés aux constructeurs. Pour l'instant les tablettes Windows 8 sont chères. Android, a priori, devrait proposer de nouvelles tablettes bon marché et de bonne qualité sur lesquelles notre application tournera sans problème", comme commencent à peine à le proposer certains constructeurs. Avec ces développements, Izneo espère ainsi éviter de dépendre uniquement d'une plateforme en se dirigeant vers ses concurrents, tout en dépendant d'un marché du livre numérique encore balbutiant en France.