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La droite tentée par la rue
Le 30.03.2013 à 11h42 • Mis à jour le 31.03.2013 à 08h39
Manifestation contre le mariage gay devant France Télévisions, le jeudi 28 mars, lors de l'intervention télévisée de François Hollande.
Mobiliser la rue, mais en déclinant toute responsabilité politique dans d'éventuels débordements. Durcir le ton au maximum, en faisant toutefois montre d'un "esprit de responsabilité". Tel est le périlleux chemin de crête que tentent d'emprunter ces jours-ci les ténors de l'UMP, de plus en plus résolument embarqués dans le sillage des manifestants contre le "mariage pour tous". Les précautions de langage qui, à l'automne, accompagnaient les leaders de l'opposition ne sont plus de mise. La droite embrasse aujourd'hui sans complexe la cause et la rhétorique des opposants.
"En France, ça va être la guerre civile, monsieur le président", avait lancé jeudi soir Frigide Barjot, chef de file du mouvement, lors d'un rassemblement de près de 3 000 manifestants devant le siège parisien de France Télévisions, avant l'intervention télévisée de François Hollande. Les leaders de l'opposition ne vont évidemment pas jusque-là. Mais, au lendemain de la prestation présidentielle, Jean-François Copé et François Fillon ont ainsi dressé un tableau apocalyptique de la situation.
"CRISE DE RÉGIME", POUR FILLON"On sent monter une crise profonde, une crise de régime", a estimé l'ancien premier ministre, François Fillon sur Europe 1, avant de souligner que l'opposition ne devait
"pas souffler sur les braises car ce qui nous menace, c'est une crise majeure qui pourrait emporter une bonne partie des espoirs de notre pays." "Les conditions sont hélas réunies pour une rupture profonde entre François Hollande et les Français", a renchéri sur RTL Jean-François Copé.
Dramatisation, mobilisation, stratégie de la tension : pour le pouvoir, l'intensification de l'offensive de l'opposition ne constitue pas une surprise.
"C'est regrettable, mais c'était prévisible. On nous a expliqué que l'opposition au mariage pour tous, ce n'était pas du tout la droite conservatrice. Aujourd'hui, l'UMP tombe le masque et s'appuie sur ce mouvement pour je ne sais quelle entreprise de déstabi
lisation du pouvoir socialiste", estime un proche du chef de l'Etat, qui souligne l'explicite politisation de la manifestation du 24 mars.
Jean-François Copé avait appelé ses militants à se mobiliser massivement pour cette seconde manifestation de l'année, où des banderoles dénonçant nommément le président avaient été aperçues et des
"Hollande démission" entendus. Il l'avait déjà fait pour la première, le 13 janvier. Il le fera sans aucun doute à l'occasion de la troisième, peut-être en mai.
Résolu à capitaliser sur le mouvement, le président de l'UMP a accusé le chef de l'Etat d'avoir fait preuve de
"mépris", le rendant par avance responsable d'éventuels débordements. Afin de ne pas être accusé d'avoir attisé le feu si d'aventure la situation dérapait.
"Il a la force de la loi car il a la majorité à l'Assemblée nationale mais je serais lui, je regarderais à deux fois ce qui est en train de se passer...", a-t-il prévenu, insistant sur
"la colère du peuple de France".Entreprise de délégitimation contre entreprise de délégitimation, procès en responsabilité contre procès en responsabilité : après l'affrontement parlementaire, le dossier le plus politiquement clivant de ces premiers mois du quinquennat Hollande tourne désormais autour de l'usage de la rue.
"L'opposition tente de trouver un débouché politique. Mais essayer de subvertir ce mouvement en l'instrumentalisant et en le transformant en ce qu'il n'était pas au départ, cela n'est pas responsable, fustige un conseiller du président.
Il s'agit tout de même d'une grande force politique représentée à l'Assemblée et au Sénat...""LE PEUPLE GRONDE"Le pouvoir pointe également, de bonne guerre, l'implication
"de groupes violents d'extrême droite" dans le comité d'accueil organisé à France Télévisions, les débordements constatés lors de la manifestation de dimanche, ou encore le chahut cette semaine autour du déplacement de deux ministres, Christiane Taubira et Najat Vallaud-Belkacem, respectivement à Lyon et à Rennes.
"Ça a un côté liguards. Faire monter le truc, c'est irresponsable", s'indigne un autre collaborateur du chef de l'Etat.
S'il s'agit de ne pas tomber dans l'appel à la révolte, l'opposition l'évoque désormais volontiers par le verbe.
"Le peuple gronde et vous ne l'écoutez pas", a lancé mardi le député UMP Philippe Cochet au premier ministre dans l'hémicycle.
"Président, faites attention, ça va péter", a mis en garde la présidente du Parti chrétien-démocrate (PCD), Christine Boutin. Elle a aussi prévenu que
"les gens ne s'estiment pas pris en considération, ridiculisés, et ils ne le supportent plus".
"Si la grogne sociale rejoint la colère sociétale, nous risquons d'avoir un printemps agité", a pour sa part prévenu l'ancien premier ministre, Jean-Pierre Raffarin dans
les Echos, avant de brandir le risque d'
"une explosion sociale".
Ces promesses de lendemains de tempête et de fureur n'inquiètent guère l'Elysée, où l'on considère que le mariage pour tous ne fait que cristalliser une opinion de droite d'emblée rétive à l'extrême au nouveau chef de l'Etat.
"Dès le départ, l'hostilité des sympathisants UMP à l'élection de François Hollande est massive : 95 % d'avis négatif d'entrée de jeu, rappelle Aquilino Morelle, conseiller du président.
Et cela n'a pas baissé depuis dix mois. Il y a toujours un rejet extrêmement violent qui témoigne d'un refus de l'élection, d'un procès en illégitimité, sourd, latent, et du caractère obsessionnel du rapport patrimonial de la droite au pouvoi. Elle n'accepte pas de s'en voir dessaisie."La leçon, néanmoins, a été retenue : pas question de fournir à nouveau de telles munitions à l'opposition à l'occasion de la prochaine loi sur la famille.
"Ce n'est pas encore cicatrisé, précise un autre conseiller de M. Hollande.
On fera quelque chose de très simple."