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Drones : Obama s'arroge «le droit de tuer»
Mis à jour le 07/02/2013 à 23:48 | publié le 07/02/2013 à 19:40
Un drone sur une base américaine de la province de Logar, en Afghanistan, en avril 2012.
La polémique fait rage sur ce nouveau droit de la guerre mis en avant par le président.L'Amérique ne «torture pas», avait déclaré à son arrivée aux affaires en 2009 le président Obama. Il avait immédiatement demandé la publication des fameux mémos juridiques de l'Administration Bush, qui justifiaient l'utilisation par la CIA de «techniques d'interrogatoire renforcées» dans sa guerre contre le terrorisme. Les pratiques de torture avaient été déclarées interdites.
Ironie de l'histoire, ce même président s'est depuis arrogé un droit de tuer, demandant à son tour à ses conseillers de rédiger une série de mémos donnant une justification juridique à ses décisions d'élimination de tel ou tel individu, au nom de la nécessité de protéger l'Amé­rique. Ces documents secrets représentent la base légale sur laquelle s'appuie l'Administration Obama pour justifier les intenses campagnes secrètes de drones qu'elle mène contre les terroristes islamistes, dans sa guerre contre al-Qaida. Ils posent notamment le cadre juridique qui a «justifié» l'assassinat ciblé du citoyen américain Anwar al-Awlaqi, un imam radicalisé connu pour ses diatribes antiaméricaines sur Internet, éliminé en septembre 2011 au Yémen par un drone parti d'une base secrète de la CIA en Arabie saoudite. Le
Washington Post, qui a été le premier à révéler l'existence de cette base, soulignait jeudi qu'il reste difficile de savoir si les notes juridiques secrètes réclamées par Obama ont été rédigées avant ou après la mort d'al-Awlaqi.
Longtemps entourés du plus grand secret, malgré les requêtes multiples du Congrès, les mémos ont été transmis mercredi soir en toute hâte aux Comités du renseignement de la Chambre et du Sénat. Clairement, il faut éteindre l'incendie médiatique et politique avant l'audition de confirmation de John Brennan à la tête de la CIA, ce jeudi. Cet ancien conseiller antiterroriste d'Obama est l'architecte de l'intensification de la guerre secrète des drones.
Un épais brouillard juridiqueC'est l'obtention et la mise en ligne par la chaîne NBC d'un livre blanc non classifié mais resté jusqu'ici confidentiel, reprenant les grandes lignes de l'argumentation juridique de la présidence, qui a poussé Obama à céder aux élus sur les mémos. Le livre blanc suscite en effet depuis lundi une controverse, à cause du caractère très vague de certaines formulations: il stipule en effet que le pouvoir américain peut cibler des citoyens américains s'ils sont «des dirigeants supérieurs et opérationnels» d'al-Qaida ou d'organisations affiliées et s'ils font courir «un danger imminent» aux États-Unis.
Comment est défini un danger imminent? Était-ce le cas pour Anwar al-Awlaqi? Ces interrogations baignent dans un épais brouillard. Le livre blanc affirme qu'il appartient «à un officiel informé et de haut niveau» de prendre la décision de frapper telle ou telle cible. «Le parallèle avec les mémos de l'Administration Bush sur la torture est glaçant», note Vincent Warren, directeur exécutif du Centre pour les droits constitutionnels, parlant de l'«hypocrisie d'Obama», qui critiquait son prédécesseur mais s'est arrogé un immense pouvoir, non contrôlé par le Congrès, en matière de guerre contre le terrorisme.
«Il est très dérangeant de voir la logique biaisée des juristes imprimée noir sur blanc», note de son côté l'éditorial du
New York Times de mercredi. «Cela a tout l'air d'une justification rédigée après que la décision politique a été prise.» «Je me sens mal à l'aise», reconnaît le représentant démocrate Keith Ellison sur CNN.
Les élus n'en ont pas moins accueilli positivement l'annonce de la transmission des mémos, parlant d'un «premier pas important». Le représentant Ron Wyden, un démocrate de l'Oregon, qui avait carrément menacé de bloquer la confirmation de Brennan, espère que le Congrès contribuera à préciser le cadre légal des campagnes de drones.
Mais ce qui frappe, c'est que le débat intervienne si tardivement. Cela fait au moins trois ans que des articles décrivent «le droit de tuer» que s'est arrogé Obama, les listes de cibles qu'il se voit soumettre régulièrement, et la «responsabilité» solitaire qu'il estime devoir assumer. Pourtant le sujet n'a jamais semblé choquer l'opinion, malgré les nombreuses victimes collatérales que font les bombardements «chirurgicaux» des avions sans pilote. Les conséquences de ces frappes, qui entretiennent une haine tenace de l'Amérique, sont potentiellement explosives, en termes de recrutement de nouveaux soldats du djihad.
En affirmant que l'Amérique a le droit d'agir parce qu'elle mène une guerre, qui ne s'applique pas à un territoire précis, contre un ennemi multiforme, la Maison-Blanche crée aussi un dangereux précédent, qui pourrait bien être utilisé à l'avenir par la Russie, la Chine ou l'Iran pour aller éliminer leurs propres ennemis. Pourquoi, dès lors, les alliés de l'Amérique restent-ils silencieux, alors qu'ils accablaient Bush?
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INTERVIEW - Hina Shamsi, directrice du National Security Project à l'ACLU Vous dites que le livre blanc donnant une justification juridique au «droit de tuer» est glaçant. Pourquoi? Ce livre blanc est effrayant, car il révèle en termes juridiques l'énorme pouvoir que s'arroge l'exécutif pour décider de tuer des citoyens américains partout dans le monde, loin de tout champ de bataille reconnu comme tel, sans la moindre implication d'une autorité judiciaire. Cette approche dangereuse constitue une redéfinition des limites qui encadrent l'utilisation de la force par le gouvernement. Car, si le document évoque des limites, il apparaît qu'il n'y a, en réalité, pas de véritables limitations, puisque le gouvernement n'a pas besoin de démontrer l'existence d'un complot imminent pour agir.
Les critères énoncés par la présidence pour cibler des citoyens américains ne sont pas compatibles avec la Constitution américaine ou le droit international. Et nous ne savons pas ce que sont les critères pour cibler des individus non américains.
Y voyez-vous un précédent dangereux en droit international? Tout à fait. Le point de vue juridique de l'Administration crée un précédent, qui doit inquiéter les alliés de l'Amérique jusqu'ici silencieux. Car la Russie, l'Iran ou la Chine pourraient invoquer ce précédent pour mener des actions unilatérales similaires.
* Juriste, Hina Shamsi est chargée du dossier de la sécurité nationale à l'Union américaine pour les libertés civiques.
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