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Les Russes face à l'intransigeance d'Assad
Mis à jour le 30/12/2012 à 21:35 | publié le 30/12/2012 à 19:51
Une conférence de presse de Vladimir Poutine, à Moscou le 20 décembre dernier.
DÉCRYPTAGE - Moscou ne parvient pas à imposer l'idée d'un gouvernement de transition aux protagonistes de la crise syrienne.À l'issue d'une rencontre à Moscou avec l'émissaire international pour la Syrie, Lakhdar Brahimi, samedi 29 décembre, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a déclaré que «les chances d'atteindre une solution politique existaient toujours», pour mettre fin à la guerre civile. Dimanche 30 décembre, au Caire, le représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies a même annoncé qu'il disposait d'un plan de sortie de crise «acceptable par la communauté internationale».
On ne saurait reprocher à MM. Lavrov et Brahimi d'avoir correctement fait leur travail de diplomates. Mais ces deux professionnels savent mieux que quiconque que les plus belles constructions politiques en chambre ne résistent jamais bien longtemps aux réalités du terrain, souvent moins rationnelles.
Le scénario idéal, tout le monde le connaît: ce serait le cessez-le-feu, puis le déploiement de Casques bleus pour contrôler son application, puis la constitution d'un gouvernement de transition où toutes les confessions et tendances politiques seraient représentées, puis la proclamation d'une amnistie générale, puis des élections présidentielles sous contrôle international, puis, puis, puis…
Pas d'intérêt à négocierDans l'histoire des guerres contemporaines, le problème de tous ces beaux scénarios genevois c'est qu'ils arrivent toujours trop tard, et qu'ils se heurtent toujours à des intérêts plus puissants que ceux des simples partisans de l'équité et de la paix.
L'arrivée sur la scène syrienne d'un gouvernement de transition supposerait le départ du pouvoir de Bachar el-Assad et de son clan. Tout en semblant le regretter, M. Lavrov a reconnu lui-même qu'il était «impossible» d'obtenir de l'actuel président syrien qu'il quitte Damas de son plein gré.
Il y a deux raisons pour lesquelles Bachar - qui dans sa jeunesse n'a jamais montré le moindre goût pour le pouvoir - n'accepte pas aujourd'hui de l'abandonner. La première est psychologique: il aurait l'impression de trahir son père, de ne pas se montrer à la hauteur des responsabilités que ce dernier avait décidé de lui confier, en 1994, après la mort accidentelle de son frère aîné.
La seconde est politique: comme Bachar, dont les portraits sont affichés jusqu'aux murs des plus petites échoppes, incarne à lui seul le régime, l'effacement de son image provoquerait immédiatement l'effondrement de l'État. C'est en tout cas ce que redoute la partie des Syriens qui soutient toujours le régime, ou qui considère que son maintien est actuellement la moins pire des solutions.
Qui sont-ils ces Syriens, qu'on entend beaucoup moins sur les ondes occidentales ou qatariennes que leurs compatriotes rebelles? Ils viennent des minorités (alaouites, chrétiens, kurdes, druzes, etc.), ainsi que de la bourgeoisie sunnite urbanisée, attachée au maintien de la laïcité syrienne. Sont-ils la minorité, sont-ils la majorité, sont-ils la moitié? Personne n'en sait rien.
M. Lavrov a regretté que la Coalition de l'opposition syrienne - celle-là même qui, constituée à Doha le 11 novembre 2012, a reçu la bénédiction puis la reconnaissance des Occidentaux - n'accepte pas de parler aux Russes, exigeant d'eux des «excuses» préalables.
Cette coalition - dominée par les Frères musulmans - sent que sa victoire est proche. Elle s'estime désormais trop forte pour avoir intérêt à négocier une transition avec Bachar. Elle jouit des finances illimitées du Qatar et de l'Arabie saoudite et elle est déjà reconnue comme le seul représentant légitime du peuple syrien par les puissances occidentales et par l'Égypte. Au demeurant, même si elle était prête à accepter un cessez-le-feu et une forme de transition politique, elle sait très bien qu'elle ne pourrait pas les imposer aux katibas les plus islamistes, lesquelles forment aujourd'hui le fer de lance de toutes les offensives rebelles sérieuses.
Les Russes sont en train de comprendre que, dans un monde arabo-musulman dominé par l'idéologie wahhabite et l'argent fou du pétrole, ils sont devenus des acteurs impuissants. Les Anglais, les Français et les Américains devraient leur dire: «Bienvenue au club!»