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Procès Mahé : un militaire acquitté, trois autres condamnés avec sursis
Le 07.12.2012 à 17h04 • Mis à jour le 07.12.2012 à 19h25
Firmin Mahé, 29 ans, avait été étouffé avec un sac plastique fixé sur la tête par du ruban adhésif, alors qu'il était transporté dans un blindé français.
Le soldat Guy Raugel, le 7 décembre à Paris.
"On n'est pas des salauds". C'est par ces mots qu'Eric Burgaud, ancien colonel des chasseurs alpins, a brièvement commenté le verdict que venait de rendre vendredi 7 décembre la cour d'assises de Paris pour le meurtre de Firmin Mahé, par des soldats de la force Licorne, en Côte d'Ivoire, en mai 2005. Le colonel Burgaud a été reconnu coupable d'avoir donné l'ordre qui a conduit à la mort du bandit de grand chemin Mahé, achevé dans un blindé de la force Licorne, sur la route de Man, le 13 mai 2005 au soir, après avoir été blessé le matin par les soldats français. Il a été condamné à une peine de cinq ans d'emprisonnement avec sursis.
"Eric Burgaud a clairement admis que l'ordre de rouler doucement signifiait que Firmin Mahé n'arrive pas vivant à Man. Il a indiqué à l'audience vouloir assumer avec dignité cet ordre (...) qui constitue bien l'ordre d'exécuter M.Mahé", disent les motivations de la cour, lues par son président Olivier Leurent.
"Qu'il ait pu recevoir un ordre du général Henri Poncet [commandant Licorne]
n'est pas de nature à écarter sa responsabilité pénale. Le colonel Burgaud a pleinement adhéré à cette instruction au motif qu'elle lui paraissait légitime au regard de la situation", les coupeurs de route semant alors les cadavres dans la région en toute impunité.
"Il a maintenu à l'audience la légitimité de cet solution radicale. En dépit des difficultés réelles rencontrées par les militaires français, la cour d'assises considère que rien ne pouvait justifier qu'un homme blessé et ligoté soit étouffé avec un sac poubelle, même au nom de la protection des populations civiles".
L'adjudant-chef Guy Raugel, reconnu coupable d'avoir volontairement donné la mort à Mahé en l'étouffant sous un sac poubelle, a été condamné à quatre ans de prison avec sursis. Il "a toujours reconnu, avec une indéniable franchise, avoir volontairement étouffé Firmin Mahé, alors menotté dans le dos et gravement blessé à la jambe. L'ordre, manifestement illégal, ne saurait caractériser une contrainte irrésistible au sens de l'article 122-2 du code pénal. L'adjudant-chef était un officier expérimenté, parfaitement entraîné et préparé à affronter les situations de crise ", dit la cour. Pour qui cela " a été un choix réfléchi et délibéré". Selon le jury populaire, "le respect de la hiérarchie militaire ne peut justifier qu'un militaire supprime un homme blessé et ligoté".Le brigadier-chef Johannès Schnier a été condamné à un an d'emprisonnement avec sursis pour avoir facilité le crime en relevant Mahé allongé dans le blindé pour aider Raugel. Il
"a toujours admis avoir, à la demande de l'adjudant-chef Raugel, tenu Mahé par les épaules (...)", poursuit le président Leurent.
"S'il n'avait pas d'information sur l'objectif poursuivi, il n'a pas contesté qu'il avait parfaitement compris l'intention homicide de son supérieur " et il a eu selon la cour le temps de réfléchir car
"cette assistance dans le meurtre de Firmin Mahé a duré plusieurs minutes". Pour lui aussi, la cour refuse d'admettre la contrainte. Schnier était selon elle expérimenté et n'était
"nullement en situation de stress ou de danger".
Celui qui conduisait le blindé, Lianrifou Ben Youssouf,
"a toujours contesté avoir pu se rendre compte", estime la cour. Il portait un casque, il faisait nuit, le bruit règnait dans le véhicule. Lui est acquitté.
"DÉTRESSE DES MILITAIRES"La cour d'assises de Paris adresse ainsi un message clair aux soldats : rien ne saurait justifier des actes criminels, quelle que soit la contrainte des opérations de guerre. Mais, souligne l'avocat du colonel Burgaud, Me Alexis Gublin,
"elle a entendu la détresse des militaires à qui la France a fait vivre leur mission dans des conditions abominables".
Le message vaut pour l'avenir. Après l'Afghanistan, où seront demain envoyées les forces françaises, que l'exécutif ne veut employer que sous mandat de l'ONU ? En 2005, l'opération extérieure de Côte d'Ivoire était une
"opex" impossible. La force Licorne était censée venir en appui de l'ONU c'est l'inverse qui s'est produit. Mais sans aucuns moyens, en réalité, d'accomplir la mission fixée par la résolution 1528 de protéger les populations.
SCÈNES DE CRIMES QUOTIDIENNESSon cadre a été longuement décrit dans les débats de la cour d'assises. Le sentiment d'impuissance des militaires. Les règles d'ouverture du feu, ubuesque – elles ont été déclassifiées pour l'occasion. Les scènes de crimes quotidiennes sur l'axe nord-sud de la zone de confiance, cette zone tampon qui séparait les forces rebelles du nord des forces fidèles au président Gbagbo au sud. Les massacres qui ont été un
"point de bascule" pour le colonel, et qui, sept ans après, ont encore coupé la voix de militaires, en pleurs à la barre.
La tension, présente encore jusque dans la salle des assises, quand des Ivoiriens ont menacé le témoin Adèle Dito, 65 ans, réfugiée en France, l'ancienne maire adjointe de Bangolo, venue dire qu'elle avait
"passé le boubou au cou de monsieur Raugel" le jour de son départ, pour le remercier de l'action de ses hommes en faveur de la sécurité de la région. Ainsi se justifie le sursis accordé.
"Les militaires ont gravement porté atteinte aux valeurs de la République française", disent les motivations de la cour.
"Toutefois, la complexité de la situation de la zone de confiance, les limites imposées à l'action de la force Licorne, l'impuissance de l'ONU en Côte d'Ivoire et de ses forces de police, les scènes de crimes auxquelles assistaient les militaires, constituent des circonstances exceptionnelles qui, au regard de l'engagement sans faille dans leur mission, est de nature à atténuer leur responsabilité".
Ni les généraux, ni les responsables politiques n'ont répondu du meurtre de Firmin Mahé. Mais justice a été rendue aux quatre accusés, qui se sont tous sentis douloureusement lâchés dans cette affaire.