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Les chirurgiens à Marisol Touraine : "On ne défend pas nos dépassements, on est là pour nos patients"
Publié le 15.11.2012 à 12h52 • Mis à jour le 15.11.2012 à 15h08
Quelques 2000 médecins ont manifesté devant le ministère de la santé à Paris mercredi 14 novembre contre l'accord limitant les dépassements d'honoraires.
Les "Men in bloc", comme disent leurs pancartes, sont arrivés pour la plupart en civil, peu habitués à l'exercice. Prévoyant, certains avaient quand même apporté une blouse, un tee-shirt du collectif "les médecins ne sont pas des pigeons", ou quelques bonnets jetables, comme ils en portent quand ils opèrent. Chirurgiens, urologues, obstétriciens, anesthésistes, mais aussi biologistes et radiologues, s'étaient donné rendez-vous, mercredi 14 novembre, devant le ministère de la santé, pour dire "non" à la stigmatisation des médecins libéraux, "non" à l'accord sur les dépassements d'honoraires, "non" aux tarifs si faibles de la Sécu dont la non-revalorisation a abouti à l'envol des honoraires libres. Et dire "non", globalement, à toute atteinte qui pourrait être portée à la liberté des médecins de fixer leurs tarifs et de s'installer où bon leur semble.L'ambiance est bonne enfant, mais les mots sont violents, surtout du haut de la camionnette qui sert d'estrade. Philippe Cuq, président du syndicat le Bloc, qui s'était illustré en 2005 en organisant un bref exil de chirurgiens en Grande-Bretagne, est au micro :
"On ment aux Français", s'indigne-t-il, visant les organismes complémentaires qui font
"des milliards de bénéfices". Et d'interroger la foule :
"C'est qui les voyous ?"...
Les cibles, il y en a en fait deux.
"Marisolde les blocs opératoires", leur ministre, mais aussi les complémentaires de santé, qui refusent de prendre en charge systématiquement les dépassements. Les manifestants interrogés préfèrent quasiment tous ne pas donner leur nom. Pour la rémunération, ils renvoient aux tableaux qui circulent présentant les revenus moyens par spécialité. Mais les raisons de leur ras-le-bol, qu'ils savent difficiles à comprendre par les Français, ils veulent bien les expliquer.
DIX FOIS LA BASE DE REMBOURSEMENT POUR LES PATIENTS"Je suis dégoûté qu'on fasse croire aux Français qu'ils croulent sous les dépassements d'honoraires, alors que chacun d'eux doit y avoir à faire une fois tous les dix ans", lâche ainsi un chirurgien de Montpellier. La dernière fois qu'il a manifesté, il était interne, c'était contre le plan Juppé, en 1995. Il était descendu dans la rue avec un ami, qui l'accompagne encore ce mercredi, et est devenu ORL dans le 8
e arrondissement de Paris. Celui-ci, qui fait grève des consultations depuis lundi, n'accepte pas qu'un taux de dépassements excessifs, 2,5 fois le tarif de la Sécu, puisse à l'avenir lui être opposé. La plupart de ses actes, il les facture bien au-dessus. Surtout la pose des diabolos dans les oreilles (pour éviter les otites à répétition chez les enfants). Il s'explique : le tarif Sécu est de 86 euros pour cette opération, ce qui est particulièrement bas, et une fois toutes les charges de son cabinet payées, il lui reste 20 euros.
"On n'opère pas un enfant pour ce prix là", estime-t-il.
Il prend, du coup, dans 8 cas sur 10, 886 euros, soit dix fois la base de remboursement pour les patients. Pour ses consultations, à certains il ne fait rien payer ou bien moins que les 100 euros qu'il prend souvent. Il se rattrape sur les montants demandés aux autres. C'est cette liberté de choisir à qui il applique quel tarif,
"avec tact et mesure", qu'il revendique.
"ELLE NE NOUS AIME PAS ET NE NOUS COMPREND PAS""Marisol démission", scande avec jubilation un grand type, un peu plus loin.
"Elle ne nous aime pas et ne nous comprend pas", explique-t-il. Il est urologue à la clinique Lambert, à La Garenne Colombes (Hauts-de-Seine). Sa première et unique manifestation remonte à 1980. C'est une première tout court pour l'un des confrères qui l'accompagne. Cet obstétricien craint que les pouvoirs publics prennent progressivement le contrôle des honoraires libres, puis les suppriment. Il est bien placé pour rétorquer, comme beaucoup des manifestants, que les patients qui ne peuvent payer d'honoraires élevés peuvent toujours aller à l'hôpital : il y consulte aussi.
"Ma rémunération est confortable, reconnaît-il,
mais c'est aux financiers qu'il faut s'en prendre. Ils gagnent beaucoup, mais ne sont pas réveillés en pleine nuit pour un accouchement, n'ont pas la vie des gens entre leurs mains mais perçoivent des retraites en or grâce à leurs parachutes dorés".
Les autres ne sont pas toujours aussi directs :
"On ne défend pas nos dépassements, on est là pour nos patients, pour qu'ils puissent choisir librement leurs médecins", entend-on de groupe en groupe. Dans le viseur, la possibilité qui devrait être bientôt accordée aux mutuelles de mieux rembourser les patients qui consultent des médecins qu'elles auront conventionné dans leurs réseaux de soins. Au micro, dans les rangs, les mêmes critiques circulent contre
"leurs budgets de publicité faramineux",
"leurs cotisations en hausse",
"leurs investissements immobiliers".
Ce procès des mutuelles a commencé depuis plus d'une semaine. La Mutualité française a d'ailleurs jugé mercredi que la
"ligne jaune a été franchie", et annoncé porter plainte pour diffamation suite à des propos de David Schapiro, vice-président de l'Union française de la médecine libre, issue du mouvement des médecins pigeons, et coorganisatrice de la manif. Dans un entretien au Nouvelobs.fr, celui-ci l'avait accusée d'être
"le plus gros propriétaire viticole de France". Ce qu'elle dément.
Malgré les 2000 manifestants sous ses fenêtres (1700 selon la préfecture de police), le ministère de la santé a opposé à leurs représentants qui réclamaient une renégociation de l'accord sur les dépassements d'honoraires, une fin de non-recevoir. Les organisateurs, ulcérés, annoncent qu'ils décideront, vendredi 16 novembre, de la suite à donner au mouvement, et invitent la foule à se diriger vers Matignon. Hasard du calendrier, le cortège tombe sur celui des syndicats de salariés, qui manifestent contre l'austérité. Au passage, des militants CGT s'empressent d'adapter leur slogan, qui devient
" non aux dépassements ".
Les Français soutiennent les internes, pas les médecins libéraux Une majorité de Français soutient l'accord sur les dépassements d'honoraires des médecins, estimant que le mouvement de grève des praticiens libéraux n'est pas justifié, alors que celui des internes est largement approuvé, selon un sondage BVA pour
Les Echos et Aviva (assurances), publié mercredi 14 novembre.
Parmi les personnes qui ont entendu parler de l'accord signé le 25 octobre - près d'un Français sur cinq (18 %) n'en a pas entendu parlé - 58 % estiment qu'il s'agit "plutôt" d'un "bon accord", contre 40% qui pensent l'inverse.
Mais
"on note sur ce sujet de très importants clivages tant politiques que sociologiques", analyse dans le sondage Gaël Sliman, directeur de BVA Opinion. Ainsi, l'accord est rejeté par les sympathisants de droite (59 %) mais largement soutenu par les sympathisants de gauche (76 %) et du Modem (70%). Par ailleurs, ce sont les Français disposant des plus bas revenus (76 %), les ouvriers (72 %), les quadragénaires (66 % des 35-49 ans), les habitants de villes moyennes ou de petites villes de province (61% à 63%) qui soutiennent le plus l'accord.
Une majorité de Français (64 %) juge que le mouvement des médecins libéraux, quand ils protestent contre l'accord, n'est "pas justifié".
En revanche, la grève concomitante des internes, qui mettent en avant leurs conditions de travail, est
"presque unanimement approuvée" : 86 % des Français jugent leur mouvement
"justifié".
Le sondage a été réalisé auprès d'un échantillon de 955 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, recrutées par téléphone puis interrogées par internet les 13 et 14 novembre.