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Don d'organe : «J'ai vécu une expérience exceptionnelle»
Publié le 21/06/2012
La greffe d’organe consiste à remplacer un organe défaillant par un organe sain, appelé greffon.
Ce vendredi marque la première journée nationale de reconnaissance aux donneurs. Parmi eux, certains passent à l'acte de leur vivant. Une mère, une sœur et un mari reviennent sur les circonstances de ce geste extraordinaire.
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Daniella a donné un rein à son frère: «Il ne me doit rien» Daniella avait 58 ans quand elle a donné un rein à son frère.
«Quand mon frère a été admis aux urgences pour une insuffisance rénale terminale il y a six ans, il a été mis sous dialyse. Un mois après, je lui proposai de lui donner un rein. Mon frère, qui avait 52 ans à l'époque, a mis sept mois avant d'accepter. On a eu la chance d'être compatibles: même groupe sanguin, même carte d'identité génétique, comme des jumeaux! J'ai fait un check-up complet, satisfaisant. Après quoi j'ai dû passer devant un psychologue, le comité d'éthique de l'Agence de biomédecine et un juge. On doit avoir l'assurance que le donneur n'a subi aucune pression d'aucune sorte et ne le fait que par amour et altruisme. Le couple donneur-receveur doit s'entendre très bien. Le receveur n'a aucune culpabilité à avoir. Pour le donneur, ce n'est que de la valorisation. Quand on donne, on donne, c'est terminé. Moi c'était mon choix, mon frère ne me doit rien. Ma seule exigence était qu'il soit vigilant avec son traitement pour ne pas risquer de rejet. De mon côté, je suis restée cinq jours à l'hôpital, je n'ai pas souffert et en deux mois, j'étais complètement rétablie. Aujourd'hui, j'ai 64 ans et je ne suis pas de régime, je n'ai ni douleur ni fatigue. Aucune contrainte - ou sinon la même que tout le monde - avoir une bonne hygiène alimentaire. Je bénéficie d'un bilan rénal annuel, qui permet de me rassurer, et même plus généralement d'un suivi médical optimal. Avec mon frère, cela nous a rapprochés. J'ai vécu une expérience de vie exceptionnelle qui m'a convaincue de m'engager pour cette cause: je travaille aujourd'hui pour la Fondation greffe de vie».
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Benoîte, 34 ans, a donné un lobe de son foie à son fils: «Ce que je craignais le plus, c'était que mon foie soit récusé» Axel, aujourd'hui âgé de 3 ans, dans les bras du Pr Olivier Boillot qui l'a opéré.
«Mon fils est né avec une atrésie (obstruction, NDLR) des voies biliaires, pour laquelle la première option de traitement n'a pas marché. En janvier 2010, son état s'est aggravé. Le Pr Boillot de Lyon nous a suggéré de mettre Axel sur liste d'attente pour une greffe de foie. Mon mari et moi avions entendu parler du don par donneur vivant, nous avons fait les examens pour savoir lequel de nous deux était compatible. C'est moi qui l'étais le plus. J'ai fait tous les examens: analyse de sang, IRM, scanner. J'étais sûre de mon choix. Je savais qu'il ne fallait pas que je m'approprie ce don en disant plus tard à mon mari: c'est moi qui lui ai donné et pas toi. Il n'est pas aujourd'hui plus mon fils pour cela. Du point de vue médical, on se savait entre de bonnes mains. Ma plus grande crainte était qu'on découvre le jour de l'opération que j'avais quelque chose au foie qui empêche la greffe. Mais le 22 juin 2010, le lobe gauche de mon foie (250 g!) a pu être greffé sur Axel, qui avait 20 mois. Il a refait de la bile sur la table d'opération, ses yeux et sa peau ont récupéré une couleur normale et il a retrouvé l'appétit. Seule ombre au tableau: je suis la dernière donneuse vivante sur Lyon car l'activité du centre a diminué».
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Christian a donné un rein à sa femme: «Pas un don, une mutualisation» Christian et Olga Baudelot. Archives familiales.
«Ma femme est atteinte d'une maladie génétique, la polykystose rénale dominante (PKD), héritée de sa mère. Pendant 18 ans, celle-ci a été en dialyse: un martyre pour elle comme pour son entourage. Quand Olga a voulu savoir combien de temps il lui restait avant la dialyse, son néphrologue lui a parlé de la greffe. À l'époque, nous ignorions tout à ce sujet. Olga était surprise, elle pensait que la greffe était réservée aux jeunes. Elle avait 63 ans. Elle n'avait jamais entendu parler de la greffe à partir de donneur vivant.
En revenant, Olga y croyait moyennement mais moi je n'ai pas hésité un instant. C'était la planche de salut, le moyen de mettre fin à cette destinée familiale et de m'éviter le sacrifice de devenir à vie l'aide-soignant malhabile d'une femme handicapée comme j'avais vu l'être son père. Pour Olga, la décision était moins évidente. Elle se sentait en position de prédatrice, de rapace, qui m'extirpait mon rein. Cela nous a conduits à réfléchir dès le départ à la manière dont cette opération altérerait notre relation. Plutôt qu'un don, on a fini par trouver le terme qui correspondait au sens que nous donnions à cet acte: mutualisation. Ce qui l'a convaincue, elle, c'est le sentiment qu'il s'agissait d'une action commune menée ensemble contre la maladie. Je participais ainsi à ses côtés à ce combat en tant qu'acteur efficace. La greffe a eu lieu en 2006.
Au départ, nous avons connu un sentiment de résurrection. Tout redevenait possible: elle évitait la dialyse, nous pouvions voyager… Mais la greffe reste un traitement de substitution. Aujourd'hui, Olga prend 18 pilules par jour et en subit les effets secondaires. Cela n'enlève rien à l'enthousiasme. Mais il y a des vicissitudes. On est parfois victime des retours d'inconscient refoulé. Un jour nous marchions, et elle traînait un peu la patte. Je me suis retourné et je lui ai dit: «J'ai été floué». Je me disais: flûte, avoir fait tout ça pour ça! Et puis on a beaucoup discuté. Avec le temps, l'élaboration et le travail que l'on mène sur soi, ces problèmes de dette s'apaisent et s'estompent. Mais la trajectoire n'est pas rectiligne. Une chose est sûre: si c'était à refaire, on le referait … C'est ce que disent plus de 95 % des donneurs!»
* Christian et Olga Baudelot ont tiré de leur expérience un livre intitulé
Une promenade de santé (Éditions Stock, 2008) qui au-delà d'un simple témoignage s'enrichit de leur double regard de sociologue et psychologue.