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En Tunisie, le pouvoir calme l'ire des salafistes
Mis à jour le 15/06/2012 à 19:54 | publié le 15/06/2012 à 19:42
Le blindé et la police positionnés autour de la mosquée el-Fatah, à Tunis, n'ont finalement pas eu à intervenir vendredi, les salafistes ayant in extrmis annulé leur manifestation.
Le gouvernement a renvoyé dos à dos extrémistes religieux et modernistes.
La crise déclenchée dimanche 10 juin dernier par les salafistes, après avoir menacé pendant une semaine le gouvernement et la stabilité même de la Tunisie, s'est soudainement dénouée à la veille du week-end. Hier, vendredi 15 juin, le face-à-face entre les «barbus» qui sortaient de la mosquée el-Fatah après la grande prière hebdomadaire et les forces de police n'a pas dégénéré. La foule masculine a traversé sans heurt les cordons des forces d'intervention positionnées autour d'un char au milieu de la place de la République, en plein centre de Tunis. Et le rendez-vous, fixé par divers mouvements salafistes sur les hauteurs de la Casbah, n'a pas eu lieu.
«On nous dit de manifester, on manifeste, on nous dit de ne pas manifester, on ne manifeste pas», expliquait benoîtement l'un des rares barbus croisés sur la place des ministères, en haut de la Casbah. Dans la nuit de jeudi à vendredi, les mouvements salafistes Ansar al Charia et Hizb Ettahrir, comme le parti islamiste plus modéré Ennahda, qui gouverne le pays, avaient appelé leurs fidèles à oublier les précédents mots d'ordre et à ne plus descendre chacun de leur côté dans la rue vendredi après la prière. Le gouvernement, qui tient à prouver sa capacité à maintenir le calme, venait de remporter son bras de fer avec les islamistes radicaux. C'est le camp moderniste et laïc qui a fait les frais de cet arrangement.
Vendredi en fin de matinée, la communauté artistique réunie au cinéma le Mondial de Tunis a présenté sa version de cette crise, avant qu'Amor Ghedamsi, le porte-parole du syndicat des artistes peintres annonce la volonté de son organisation de poursuivre devant la justice les ministres de l'Intérieur, de la Culture et des Cultes. «C'est ce gouvernement qui est responsable de toutes les atteintes contre les artistes», a affirmé Amor Ghedamsi, soulignant que nombre de peintres mis en cause par les salafistes se voyaient nommément désignés sur la Toile, «ce qui les contraint à quitter leurs lieux de travail».
Une nouvelle fois, le psychodrame est né de l'opposition entre intellectuels occidentalisés et fondamentalistes musulmans. En mars 2011, le cinéma Africa avait été saccagé lors de la diffusion du film Ni Dieu ni maître de la réalisatrice Nadia el-Fani, puis en octobre la chaîne de télévision Nessma avait été prise à partie pour avoir diffusé le film d'animation Persepolis dans lequel Allah se trouve représenté, ce qui est interdit dans l'islam sunnite.
Cette fois-ci, les salafistes s'en sont pris aux peintures exposées au palais Abdellia, à La Marsa, la banlieue chic de Tunis, dans le cadre du Printemps des arts, une manifestation qui se tient chaque année depuis 2003. Alors que cette exposition n'avait pas fait parler d'elle pendant plus d'une semaine, le dernier jour, dimanche 10 juin, à la suite de quelques «barbus», Mohammed Ali Bouaziz est venu constater, en tant qu'huissier, que plusieurs toiles étaient à ses yeux «blasphématoires». «C'est une démarche politique», affirme-t-il, en reconnaissant qu'il avait naguère appartenu au RDC, l'ancien parti du dictateur déchu Ben Ali. Cette collision entre certains salafistes, souvent rejoints dans leur manifestation par des voyous, et d'anciens RDCistes cherchant à se recycler politiquement, finit de troubler un peu plus l'échiquier politique tunisien.
Le difficile équilibre d'EnnahdaToujours est-il que le face-à-face entre salafistes et la communauté laïque soutenant les artistes s'est d'abord déroulé sur Facebook, les uns et les autres appelant à se réunir devant la galerie. À ce jeu, les salafistes, plus organisés, ont gagné. Des troubles ont éclaté dans diverses villes, ce qui a coûté la vie à un jeune homme, une centaine d'autres manifestants étant blessés. Le pire est que l'ire des islamistes est montée avec la diffusion sur Internet d'une toile exposée au Sénégal et celle d'une photo d'une culotte rouge, illustrant, semble-t-il, le catalogue d'une boutique de lingerie venant d'ouvrir à Tunis. Sans avoir vu l'exposition, les ministres de l'Intérieur, de la Culture et celui en charge de la Religion ont condamné les artistes et leurs «atteintes au sacré».
«Ennahda est dans un difficile jeu d'équilibre», commente le politologue Omeyya Seddik: «il doit rassurer d'un côté les non-islamistes et les partenaires internationaux, et de l'autre côté ne pas décevoir les milieux religieux». Cette fois-ci, le gouvernement Ennahda est parvenu à retomber sur ses pieds, car la situation n'a pas dégénéré. Mais les vrais gagnants dans cette crise sont Moncef Laajimi, l'ex-patron des brigades antiémeutes et Moncef Krifa, l'ancien directeur général du ministère de l'Intérieur. Alors que l'attention médiatique se focalisait sur ce psychodrame et qu'un couvre-feu était imposé dans les régions les plus sensibles, ils ont été jeudi 13 juin acquittés dans le procès de Ben Ali et de ses bras armés durant la «révolution de jasmin».