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Le fantôme syrien plane sur le Salon de l'armement
Mis à jour le 13/06/2012 à 23:25 | publié le 13/06/2012 à 20:47
Des Syriens près d'un char abandonné, dans la ville de Rastan, près de Homs, en mars 2012.
La direction du Salon de l'armement, qui se tient cette semaine près de Paris, a refusé son accès à plusieurs ONG qui dénoncent la présence au salon d'un exposant russe suspecté d'exporter des chars vers la Syrie.
Alors que l'ONU se prépare à ratifier, en juillet, le premier traité international sur le commerce des armes (TCA), les ONG comptaient profiter mercredi de la tenue, au parc des expositions de Villepinte, du Salon de l'armement, Eurosatory, pour animer une contre-conférence sur les transferts d'armes, «qui ont des conséquences négatives sur certaines populations civiles». Réponse du Gicat (Groupement des industries françaises de défense terrestre), organisateur de l'événement: «Ce n'est ni le lieu ni le moment favorable pour recevoir des ONG, voire imposer leur présence aux professionnels du secteur.»
«Nous n'avons rien contre les ONG, mais un stand n'est pas destiné à être un plateau médiatique», explique au
Figaro Patrick Colas des Francs, directeur du salon. D'après lui, les industriels de l'armement, «confrontés à une baisse du budget de la défense et du coup obligés d'exporter, veulent eux aussi un traité fort et contraignant».
«Il est regrettable, au moment où nous pouvons rentrer dans le vif du sujet, de voir la porte du salon se fermer. C'est un signal négatif de la part des industriels. Ils ne semblent pas prêts à en finir avec l'opacité du commerce d'armes», répond Aymeric Elluin, responsable de la campagne «Armes et impunité» pour Amnesty International. Que veulent les ONG? «Savoir qui achète quoi et à quel prix. En soutenant un traité qui permettra d'empêcher les États d'exporter des armes vers des pays violant les droits de l'homme, la France a un rôle important à jouer», poursuit Aymeric Elluin.
Un exposant vendeur d'armes en SyrieMardi, à l'appel de l'ONG Avaaz, des militants et des activistes syriens arboraient, devant le Louvre à Paris, des peluches ensanglantées, dénonçant «les armes russes qui tuent les enfants syriens». Dans leur collimateur, l'entreprise publique russe d'armement Rosoboronexport, présente à Eurosatory. Une firme qui figure parmi les principaux exportateurs d'armes à destination de la Syrie et du Soudan. «En livrant des chars à la Syrie, Rosoboronexport permet au régime de massacrer sa population», s'indigne Aymeric Elluin. À Eurosatory, Patrick Colas des Francs affirme «n'avoir reçu aucune consigne» du gouvernement au sujet de cette entreprise. «Si l'entreprise était black-listée, elle serait forcément exclue du salon.» Et d'ajouter: «Annuler Rosoboronexport créerait un incident diplomatique.»
«La France avait l'occasion, par le biais du salon, d'inciter les Russes à suspendre leurs ventes d'armes en Syrie. Pour le moment, rien n'indique qu'ils agiront dans ce sens…», déplore Aymeric Elluin. Pour lui, la France est dans une situation «contradictoire», accueillant sur son sol Rosoboronexport, et appelant, mercredi, à un embargo sur les armes en Syrie.
Le président russe Poutine en 2005, lors d'une rencontre chez Rosoboronexport.
La veille, Thales a signé un contrat avec Rosoboronexport, pour équiper les chars russes de caméras thermiques. Ce qui ne manque pas d'inquiéter Human Rights Watch (HRW), qui redoute une exportation de ces chars vers le régime de Bachar el-Assad par la suite.Dans
Le Nouvel Observateur , Thales souligne que «conformément à la législation française, aucune réexportation ne pourra être faite sans autorisation préalable des autorités françaises».
Contacté, Tristan Bourdeille, enseignant à l'Isad (Institut supérieur de l'armement et de la défense), explique: «En France, aucune exportation d'armes ne se fait sans l'aval du gouvernement. Quant aux réexportations, une clause empêche l'acheteur de transférer ces armes sans l'accord de la France.» Une clause loin d'être respectée, selon Aymeric Elluin: «On a vu le Qatar exporter des missiles Milan en Lybie, en plein conflit, sans autorisation.»
D'après Avaaz, les envois d'armes de Rosoboronexport à la Syrie se poursuivent. «Un cargo russe est arrivé dans le port syrien de Tartous, le 26 mai», affirme l'ONG, reprenant une information du journal canadien
The Province. C'est la quatrième livraison de ce type depuis décembre 2011.
Mardi, la secrétaire d'État américaine, Hillary Clinton, a accusé Moscou de mentir à propos de ses livraisons d'armes vers la Syrie. Le vice-directeur général de Rosoboronexport rétorque: «Nous n'avons jamais livré d'armement dans des zones de conflit. S'il y a des livraisons, ce ne sont pas des armes qui peuvent être utilisées dans des conflits contre les civils.» Selon Hillary Clinton, ces déclarations sont «de toute évidence fausses.» Mercredi, la Russie a contre-attaqué, accusant les États-Unis de livrer des armes aux rebelles syriens, tout en justifiant les ventes d'armes à la Syrie: «Elles ne violent aucune loi internationale et portent sur des équipements défensifs.»
Reçue mardi soir par le cabinet du ministre de la Défense, Amnesty International a obtenu du gouvernement «la garantie que la France soutiendra(it) un traité robuste et contraignant, qui couvrira les armes, mais aussi les munitions». Selon l'ONG, chaque jour sont fabriquées «assez de munitions pour tuer deux fois chaque individu de la planète». Ce mercredi, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères déclarait, quant à Rosoboronexport: «Sur ce sujet, notre doctrine est claire: quand la France vend des armes, elle veille à ce que celles-ci ne puissent pas être retournées contre les peuples.»