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Egypte : l'ombre des "foulouls", caciques de l'ancien régime, plane au-dessus de la contestation
Le 29.06.2013 à 10h52 • Mis à jour le 30.06.2013 à 10h09
Alors qu'une confrontation violente entre les Frères musulmans et leurs opposants semble de plus en plus inévitable, l'ombre des "foulouls", ces représentants de l'ancien régime, plane comme une hypothèque sur ce décor. Des milliers d'Egyptiens se sont rassemblés, vendredi, place Tahrir pour manifester contre le président Mohamed Morsi et les Frères musulmans.
Depuis des mois, pro et anti-Morsi se renvoient l'accusation d'entretenir l'héritage d'Hosni Moubarak, de défendre les intérêts de sa clique d'hommes d'affaires, voire de militer pour le retour du raïs déchu. Alors que, jusqu'à l'élection du président, islamistes et libéraux avaient fait corps contre les foulouls, les deux camps semblent aujourd'hui si divisés qu'ils pourraient donner une occasion aux nostalgiques de l'ère Moubarak de reprendre la main. Si leur présence n'était pas bien réelle, les foulouls passeraient pour des fantômes, tant la montée de la violence alimente la paranoïa et les rumeurs sur les "mains cachées", jugées responsables de l'augmentation de la criminalité.
RÉSISTANCE DE BASTIONS DE L'ANCIEN RÉGIME En s'adressant à la nation mercredi 26 juin, Mohamed Morsi, qui cherchait à discréditer le mouvement
"Rebelle", a provoqué l'hilarité en semblant lui-même pris d'hallucinations
. "Ceux qui cherchent à semer le chaos et à conduire le pays vers l'inconnu : il y en a un à Mansoura qui s'appelle Fouda, il achète des casseurs, il y en a un aussi à Charkiya, il s'appelle Achour, lui aussi il emploie des voyous, et il y en a un autre à Maadi... Euh... lui aussi, il fait la même chose ", a déclaré le président égyptien, déclenchant une vague immédiate de sarcasmes sur Twitter, brodant sur le thème de "l'Homme de Maadi".
Passé cet exorde impressionniste, le président a su être moins vague. Il a dénoncé des journalistes et des oligarques de l'ancien régime, acquittés par la justice, comme Mohammed Amin (le propriétaire de l'influente chaîne CBC), Ahmed Bahgat (patron de Dream TV), Fathi Sorour (l'ex-président du Parlement), Hassan Abdelrahman (ancien chef des renseignements), Safouat Al-Charif (l'ancien président de la Chambre haute) et Zakariya Azmi (un ponte de l'ex-parti au pouvoir). Tous ont été accusés par M. Morsi de comploter en incitant à la violence et en insultant son image.
A cette liste, s'ajoute un groupe d'hommes d'affaires (Abdel Rahim El-Ghoul, Ali Chabaan, Hamdi El-Tahan, Mohammed Farid et Yassin Mansour) que les islamistes accusent depuis des semaines de couper les routes, de fomenter des actes de vandalisme, de harcèlement sexuel et des viols collectifs, fléaux contre lesquels le président a annoncé la formation d'une unité spéciale au sein du ministère de l'intérieur.
LONGUE LISTE DE PROCÈS AVORTÉS Faut-il croire à cette subversion de l'intérieur ? Par-delà la mauvaise foi du président quant aux liens des foulouls avec les révolutionnaires, l'obsession de Mohamed Morsi se comprend tant il s'est heurté, dans sa volonté de prendre le contrôle de l'Etat, à la résistance de bastions de l'ancien régime. C'est la théorie de "l'Etat profond", une force d'inertie très sensible au sein de la magistrature, de la police et du ministère de l'Intérieur, sans parler des cheikhs et des maires de villages, qui pour beaucoup tiennent toujours leurs fiefs.
Ces derniers jours, la relaxe de deux anciens ministres d'Hosni Moubarak (au tourisme et au logement) et l'ajournement du procès des policiers accusés de l'assassinat de Khaled Saïd (un des martyrs emblématiques de la révolution), qui ont été relâchés, ont achevé de convaincre l'opinion publique que la justice était encore à la solde de l'ancien régime. Car ces décisions s'ajoutent à une longue liste de procès avortés qui ont abouti à laisser en liberté des dizaines de ministres d'Hosni Moubarak, de responsables du PND, l'ex-parti au pouvoir, de personnes directement impliquées dans les meurtres commis avant et après la révolution, ainsi que quinze officiers accusés d'avoir détruit des centaines de documents au siège des services secrets pendant la révolution.
Mais, de leur côté, les révolutionnaires s'étranglent en regardant descendre de l'avion présidentiel, à l'occasion des visites officielles effectuées par M. Morsi en Chine, en Russie et au Brésil, une kyrielle de chefs d'entreprise connus pour avoir fait fortune grâce à leur proximité avec Gamal Moubarak, le fils du raïs déchu. Le plus célèbre d'entre eux, Mohammed Abou Al-Aynayn, ancien membre du PND, a été blanchi dans le meurtre de dizaines de manifestants à son retour d'un voyage en Chine avec le président.
ABSENCE DE RENOUVELLEMENT DU PERSONNEL POLITIQUE Les révolutionnaires sont intarissables aussi sur la pléthore de politiciens et de conseillers qui peuplent les couloirs des ministères et de la Chambre haute et qui témoignent de l'absence de renouvellement du personnel politique. Mohamed Morsi manque-t-il de personnel qualifié ou préfère-t-il les politiciens d'hier aux libéraux et militants de gauche ?
On comprend que les Frères rechignent à prendre de front les "barons" de province, dont les hommes de main sont toujours prêts à faire le coup de feu. Mais par-delà leurs affiliations politiques, les foulouls, souvent de simples opportunistes, seront peut-être les seuls à tirer leur épingle du jeu dans le cas où l'armée déciderait de reprendre le contrôle de la transition.