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Manuel Valls : «Je ne veux pas diviser la société»
Manuel Valls, qui a succédé à Claude Guéant au ministère de l’Intérieur, livre les grandes lignes de sa feuille de route, dont le mot d’ordre est de rassembler.
Publié le 04.06.2012, 07h05
PARIS (VIIIe), SAMEDI. « Je suis un élu local et, à ce titre, je suis pragmatique et j’aime le terrain », assure Manuel Valls.
Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, a multiplié les déplacements depuis sa nomination à la rencontre des fonctionnaires de police qui manifestent depuis plusieurs mois leur malaise.
Comment avez-vous trouvé la « maison police » à votre arrivée Place Beauvau?
MANUEL VALLS. Je vois des hommes et des femmes qui souffrent et expriment, de façon distincte selon leurs régions, leurs missions, leurs âges, un vrai malaise.
Confrontés à une très grande violence, qui parfois les vise directement, certains policiers ou gendarmes sont profondément marqués, physiquement et psychologiquement. L’affaire Neyret, les dossiers des fadettes, du Carlton… l’accumulation de faits divers médiatiques mettant en cause l’institution policière ont encore aggravé une crise de confiance liée, sans doute, au désamour par rapport à Nicolas Sarkozy : jamais ces dernières années on n’avait assisté à de telles manifestations de policiers.
L’idée d’un récépissé pour les contrôles d’identité est vécue par les policiers comme une marque de défiance… Soyons clairs : pour assurer leurs missions, policiers et gendarmes doivent pouvoir faire des contrôles. Mais il est vrai que certains — notamment les jeunes des quartiers populaires, mais pas seulement — peuvent le vivre comme une discrimination, voire une humiliation lorsqu’on se trouve soumis à des palpations plusieurs fois par jour. L’idée n’est pas d’imposer un dispositif. Je veux prendre le temps de la réflexion. Car si cette mesure est perçue comme vexatoire par les policiers, elle ne marchera pas.
Comment comptez-vous améliorer les liens entre police et justice? Cela passera par le dialogue. Au lieu de se lancer des invectives, il faut comprendre ce qui ne marche pas au sein de la chaîne pénale. J’ai demandé à un conseiller d’Etat de travailler sur la question d’une protection juridique spécifique des policiers. J’ai proposé à Christiane Taubira, la ministre de la Justice, de réfléchir à la question, très préoccupante, de la violence des mineurs. Enfin, dans 200 à 300 quartiers prioritaires, la présence policière sera renforcée. Il ne s’agira pas de faire du chiffre, mais d’obtenir des résultats : c’est un changement de culture. A cet égard, il faudra aussi redéfinir le rôle des brigades anticriminalité, les BAC.
Qu’avez-vous pensé des attaques de la droite contre la ministre de la Justice, qui a annoncé son intention de supprimer les tribunaux pour mineurs? J’ai trouvé ces critiques injustes. Non seulement je suis solidaire par rapport à ma collègue, mais j’ai l’intention de travailler avec elle. Il ne faut surtout pas reproduire les oppositions que l’on a connues dans le passé entre ministres de la Justice et de l’Intérieur. Cette mise en cause braque davantage les juges. Je dois également être le garant de leur indépendance. Mais on doit comprendre aussi que les policiers peuvent avoir parfois un sentiment d’inutilité. C’est tout cela qu’il faut corriger.
Vous avez procédé à de nouvelles nominations à la tête de la préfecture de police de Paris, de la Direction générale de la police nationale et de la Direction centrale du renseignement intérieur. Une « chasse aux sorcières », dénoncent certains… J’avais besoin d’hommes de qualité et de grande confiance, qui n’aient pas l’intimité qu’avaient leurs prédécesseurs avec Nicolas Sarkozy et Claude Guéant. Ces nouveaux hauts responsables ne sont pas des proches, ni intimement, ni politiquement. Ce sont des serviteurs de l’Etat loyaux et républicains. Il fallait faire ces nominations immédiatement pour assurer la continuité du travail du ministère.
Y aura-t-il d’autres nominations? Il faudra mettre les choses à plat au sein de l’Inspection générale des services (IGS). Des responsables policiers ont pu être injustement mis en cause, je veux les réhabiliter. Il y aura aussi, nécessairement, une réforme des services de renseignement au sein de la préfecture de police de Paris. Enfin, le corps préfectoral, qui a eu le sentiment ces dernières années d’être ballotté et méprisé, doit retrouver toute sa place. Le préfet de Seine-Saint-Denis, Christian Lambert
(NDLR : proche de Nicolas Sarkozy), ira au bout de sa mission. Le préfet du Gard, Hugues Bousiges, a été rétabli dans ses fonctions.
L’affaire Merah a montré les limites du renseignement français. Quelles leçons en tirez-vous? Dès lors qu’un homme, peut-être seul, a pu commettre de tels crimes, nous sommes face à un échec : l’Etat n’a pas su ou pas pu protéger des Français. Il s’agit maintenant d’en comprendre les raisons. J’ai chargé la Direction générale de la police nationale et la Direction centrale du renseignement intérieur de me fournir une étude très complète sur ce qui a dysfonctionné dans cette affaire.
En termes de sécurité intérieure, quelles sont vos priorités? Outre la lutte contre la menace terroriste, je veux aussi couper les routes de la drogue qui remontent de l’Espagne. L’impact du trafic de stupéfiants dans notre société est une question centrale.
Qu’est-ce qui vous distingue de vos prédécesseurs de droite? Je suis un élu local et, à ce titre, je suis pragmatique et j’aime le terrain. Ma grande différence avec Nicolas Sarkozy, c’est que je ne veux pas diviser la société. Il a tendu les rapports, instrumentalisé ses sujets, hystérisé la société. Mais est-ce que les lois sur les halls d’immeuble ou les mineurs ont été efficaces? Moi, je veux apaiser, rassembler, recréer les conditions de la confiance.
Le ministre de l’Intérieur et le candidat aux législatives que vous êtes redoute-t-il une forte abstention pour le premier tour dimanche? Les Français doivent prendre conscience de l’enjeu de cette élection, c’est-à-dire donner une majorité cohérente au président de la République. On peut admettre, après cette campagne présidentielle qui a été une des plus longues, des plus intenses, des plus violentes sur le plan politique, qu’elle laisse place à une forme de lassitude ou d’incompréhension. En dépit des sondages qui donnent l’avantage à la gauche, il n’y a pas d’automaticité, c’est le choix des électeurs. Cela se joue dans chaque circonscription et nous devons tout faire pour mobiliser nos électeurs. Il ne faut pas qu’on leur vole le changement.