Victoire de François Hollande ou défaite de Nicolas Sarkozy ?
Hocine Belalloufi
Mardi 8 Mai 2012
La défaite de Nicolas Sarkozy a permis à François Hollande de l’emporter. La bataille présidentielle a été gagnée par la gauche, mais la guerre est loin d’être finie. A l’horizon immédiat, les législatives de juin qui permettront ou non de donner au nouveau président français les moyens d’amorcer le changement dont il se réclame. Mais au-delà s’annoncent la bataille européenne contre les marchés financiers et la droite européenne ainsi que l’émergence d’un mouvement social qui n’entend pas tout attendre d’en haut. L’élection de François Hollande à la présidence de la République française, le 6 mai, a été accueillie avec soulagement par une majorité de ses concitoyens, mais sans trop d’enthousiasme. On est loin de la liesse provoquée, en 1981, par la victoire de François Mitterrand qui devenait alors le premier président socialiste de la Ve République. Il faut bien reconnaître que le candidat socialiste de 2012 manque cruellement de charisme, comparé aux « bêtes politiques » et médiatiques que sont Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Olivier Besancenot… Le résultat final du scrutin relativise toutefois l’importance de cette qualité qui ne suffit visiblement pas à assurer la victoire.
Le manque d’enthousiasme à l’égard du candidat-président renvoie cependant à quelque chose de plus essentiel que l’absence de certaines qualités individuelles : à son projet, son programme, son orientation, bref à sa ligne politique qui n’enivre pas les foules.
Le vote Hollande est avant tout un vote sanction contre Sarkozy. Les adversaires de ce dernier se sont servis des armes à leur disposition pour mettre un terme définitif à son ambition de rempiler pour un second mandat à l’Elysée. Pour ce faire, une majorité à voté pour François Hollande alors qu’une très forte minorité a voté blanc. Il apparaît clairement que l’on est davantage dans le rejet de Nicolas Sarkozy que dans l’engouement pour François Hollande.
Impasse stratégique de la droite et défaite d’un homme Avec 48,38% des voix, Nicolas Sarkozy a perdu de peu face à François Hollande (51,62%). Il est loin d’avoir été écrasé et son score n’a rien de ridicule. Si certaines de ses réformes sociales ont été fortement contestées et ont provoqué des mobilisations sociales de grande ampleur, comme sur le dossier des retraites, force est de constater qu’elles ont finalement été votées et que l’orientation économique néolibérale imprimée à sa politique est globalement partagée par le Front National (FN), l’UMP, les centristes et… le PS. La défaite de Sarkozy n’a donc rien d’une déroute politique pour les intérêts des catégories privilégiées que son parti défend.
François Hollande infléchira très certainement la politique néolibérale de son prédécesseur, mais il ne rompra avec elle. Il n’a eu de cesse de répéter qu’il ne remettrait pas en cause la loi sur les retraites, mais ne ferait que l’amender. Il a promis qu’il n’embaucherait pas massivement dans la Fonction publique alors même que de nombreux corps sont en sous-effectifs chroniques et que de nombreux services publics ont disparu, en particulier dans les zones rurales (écoles, postes, centres de santé…) et les quartiers populaires des grandes villes. Le candidat du PS s’est par ailleurs employé, en février dernier, à rassurer les marchés financiers en déclarant au journal anglais
The Guardian : « Aujourd’hui il n’y a pas de communistes en France… La gauche a gouverné pendant quinze ans pendant lesquels elle a libéralisé l’économie et ouvert les marchés à la finance et à la privatisation. Il n’y a pas de crainte à avoir ».
Seuls les candidats du Front de Gauche (FG) et de l’extrême-gauche étaient clairement dans une logique de rupture avec les fondamentaux du néolibéralisme.
Le refus du centre (Modem) et de la droite (UMP) de passer des alliances électorales avec le FN interdisait à Sarkozy de rassembler une majorité. Il ne pouvait à la fois satisfaire les uns et les autres. Accentuant, entre les deux tours, la pêche aux voix d’extrême-droite entamée bien avant la campagne électorale (débats sur l’identité nationale, la sécurité, l’immigration, l’islam…), il s’aliénait les voix du centre sans pour autant récupérer un nombre suffisant d’électeurs d’extrême-droite qui lui reprochent d’avoir puisé sans vergogne dans le programme et les thématiques du FN, sans pour autant appliquer les mesures drastiques que ce parti raciste prône. Ils l’accusent de l’avoir fait pour des raisons électoralistes (récupérer les voix de l’extrême-droite) et le lui ont fait payer.
Rassembler une majorité dans ces conditions relevait pour le président sortant de l’ordre du miracle. Or, les miracles, en politique à tout le moins, n’existent pas. Aussi ne pouvait-il réitérer le « coup » de 2007 qui l’avait vu s’accaparer les voix du parti de Jean-Marie Le Pen.
Mais les électeurs français ont également rejeté le style et la méthode Sarkozy. Beaucoup ont sanctionné sa proximité sociale et politique trop voyante avec les riches (la soirée au Fouquet’s, les vacances sur le yacht de Bolloré…), les affaires de commissions illégales auxquelles son nom ou celui de ses amis sont liées (Karachi, Betancourt…), son agressivité à l’égard des plus faibles (chômeurs, ouvriers, habitants des quartiers populaires, immigrés, Rom, musulmans…), sa propension à ne pas respecter la séparation des pouvoirs dans le domaine de la justice, à s’immiscer dans la gestion des médias publics et privés, son refus du compromis et sa volonté de passer en force sur des dossiers sensibles (retraite…).
Ce style, cette méthode ne sont pas séparables de sa politique. Ils ont donné à celle-ci un cachet qui a heurté la sensibilité politique de beaucoup de centristes et choqué les militants et sympathisants d’extrême-droite qui se sont sentis trahis par Nicolas Sarkozy.
Impossible compromis avec l’Europe des marchésLa gauche française est minoritaire (45% des voix). Elle peut néanmoins s’appuyer sur le socle, plus large, de ceux qui rejettent l’austérité qui frappe les plus démunis et les classes moyennes.
L’idée de relance refait surface et est en passe de gagner les esprits de certaines forces politiques et de personnalités de droite en France, en Italie, à Bruxelles et même en Allemagne. Mais les libéraux conditionnent la reprise de la croissance économique par le maintien du sacro-saint principe de l’équilibre budgétaire. La chancelière allemande exige le respect du Pacte budgétaire européen, l’autonomie de la Banque centrale européenne (BCE)… Les Etats empruntant auprès des marchés financiers, sous l’œil vigilant des agences de notation, Angela Merkel refuser tout accroissement de la dette publique. Elle écarte en même temps toute idée d’imposer plus conséquemment les riches et les mouvements spéculatifs.
Les partisans du néolibéralisme sont donc placés dans une contradiction difficile à tenir. Ils n’ont que l’austérité à proposer aux Européens. Cela n’est pas tenable… sous un régime démocratique. Les partis de droite viennent de perdre tous les scrutins locaux (Italie, Angleterre, Allemagne) au profit de la gauche. En Grèce, les législatives du 6 mai ont vu l’effondrement des partis néolibéraux de droite (Nouvelle Démocratie à 19,2%) et de gauche (Pasok à 13,64%) et une percée des antilibéraux d’extrême-gauche de Syriza (16,3%) et des partis de l’extrême-droite (10% à peu près). Dans toute l’Europe, la tendance électorale qui s’esquisse est à la sanction des gouvernements de droite qui dominent pour l’instant sur le Vieux continent.
Or, face à ce changement de cap politique imposé par les électeurs, il n’y a que deux possibilités. La première consiste à instaurer des gouvernements qui émanent de moins en moins de l’expression libre de la volonté populaire et de plus en plus de celle des marchés financiers (Italie et Grèce avant le scrutin du 6 mai). Des gouvernements de plus en plus autoritaires qui restreignent les libertés. Cette tendance à rogner la démocratie se dessine déjà dans nombre de pays européens. En cas d’aggravation de la crise, elle pourrait aller jusqu’à l’instauration de dictatures ouvertes (militaire, policière). Cette possibilité est de plus en plus ouvertement évoquée à propos de la Grèce. Mais elle est, pour le moment, inenvisageable dans les principaux pays européens. On assiste en revanche à l’émergence de mouvements fascistes de masse qui pourraient arriver au pouvoir dans les années à venir par le biais des élections pour y instaurer, par la suite, un régime de dictature. Quelles que soient les hypothèses retenues et les analyses avancées, il convient de garder à l’esprit le fait que nous ne sommes qu’au début d’un processus au long cours. Il faut éviter de rester collé le nez sur l’événementiel, sur l’immédiat, mais faire au contraire l’effort de relever la tête pour embrasser un horizon plus large et plus lointain.
Renaissance d’un mouvement populaire démocratique et socialLa seconde possibilité consiste à rompre avec les dogmes du néolibéralisme. François Hollande affirme vouloir sortir de la contradiction austérité-récession en faisant preuve de pragmatisme. Il dit chercher à relancer l’investissement afin de créer de la croissance. Mais il se heurtera très vite à l’entêtement de la droite. Sera-t-il en mesure de faire reculer la chancelière allemande qui dirige l’Europe ? Affrontera-t-il les marchés financiers qui sont les décideurs réels depuis que les gouvernements leur ont transmis le gouvernail ? En a-t-il seulement la volonté ? On peut raisonnablement en douter au vu du parcours du PS – le gouvernement de la gauche plurielle de Lionel Jospin est celui qui a le plus privatisé – et du programme du candidat désormais président.
Il pourrait, s’il en a la volonté, s’appuyer sur un puissant mouvement social et politique qui s’est manifesté, ces dernières années, par d’importantes mobilisations syndicales et par l’irruption du Front de gauche sur la scène politique, pour affronter les marchés financiers et leurs relais. La bataille législative ouverte le soir même du 6 mai sera déterminante. Son issue déterminera le rapport de force politique au sein de la prochaine Assemblée nationale. Une victoire de la droite annulerait en grande partie la victoire de Hollande. Une faible victoire de la gauche affecterait sa capacité et sa volonté de changer. Une large victoire pourrait au contraire renforcer cette volonté et élargirait considérablement sa marge de manœuvre.
Affronter la droite et les marchés financiers constitue la seule issue possible pour Hollande et ses partisans car s’il cède et ne rompt pas avec les fondamentaux de ses prédécesseurs, il sera très vite balayé par le retour de la droite et la percée de l’extrême-droite qui va renforcer sa place dans la vie institutionnelle française. Le nouveau président pourrait également être débordé par un mouvement social opérant une jonction avec une gauche radicale renaissante. Car la thèse de la nécessité de rompre avec le néolibéralisme monte en Europe comme on a pu l’observer à l’occasion de la présidentielle française (15% pour la gauche de la gauche), des législatives grecques (plus de 24% pour la gauche de la gauche) et des mobilisations sociales de plus en plus importantes en Espagne (grève générale).
De nombreux syndicalistes, des mouvements et autres partis radicaux déclarent ne pas vouloir attendre sagement que le gouvernement satisfasse d’en haut leurs revendications et réponde à leurs aspirations. Méfiants à l’égard de cette partie de la social-démocratie qui s’est convertie au social-libéralisme (Jospin, Papandréou, Zapatero, Brown…), elle tentera d’imposer le changement par en bas, dans la grande tradition des mouvements sociaux de 1936, de 1968, de 1995, du mouvement contre le Traité constitutionnel européen de 2005, du Contrat première embauche (CPE) en 2006 et du mouvement contre la réforme des retraites de l’automne 2010…
Tous ces mouvements soutiendront le gouvernement formé par François Hollande s’il se bat et fait montre d’une réelle volonté de changement. Ils n’hésiteront pas à le déborder s’il fait marche arrière, fait preuve de pusillanimité et d’hésitation. Et ils n’hésiteront certainement pas à le combattre frontalement s’il les trahit. La bataille de la présidentielle est finie et celle des législatives commence. Mais on voit déjà poindre la bataille du troisième tour, la bataille sociale, à l’horizon de l’automne.