LE MONDE | 19.05.2014 à 11h53 • Mis à jour le 19.05.2014 à 12h13 | Par Gérard Courtois
Vingt-deux ans après l'adoption ric-rac du traité de Maastricht sur l'euro, neuf ans après le net rejet du référendum sur le traité constitutionnel européen, c'est une résignation de plus en plus grincheuse que les Français ressentent à l'égard de l'Union européenne (UE). Tel est le principal enseignement de l'enquête réalisée par Ipsos-Steria pour Le Monde, le Cevipof et Terra Nova.
Ainsi, d'une manière générale, ils ne sont plus que 39 % à juger que l'appartenance de la France à l'UE est une « bonne chose », contre 39 % également qui pensent que ce n'est « ni une bonne ni une mauvaise chose », et 22 % que c'est une « mauvaise chose ». Le rejet de l'UE porté par le Front national – dont 61 % des sympathisants déclarent qu'elle est une « mauvaise chose » pour la France – pèse de plus en plus sur l'ensemble de l'opinion.
De même, lorsqu'on interroge les Français sur leur sentiment d'appartenance, près d'un sur cinq (19 %) dit se sentir « seulement français » et près d'un sur deux (46 %) « plus français qu'européen ». Soit un total de 65 %, contre 32 % qui se déclarent « autant européen que français ».
LE REGARD PORTÉ SUR L'UNION EUROPÉENNE EST SÉVÈRE
Plus précisément, le regard porté sur l'Union européenne est sévère. Certes, 72 % des sondés reconnaissent qu'elle est « une garantie pour la paix et la justice en Europe » ; ce pourcentage atteint 83 % chez les sympathisants socialistes et écologistes, et 79 % chez ceux de l'UMP, mais tombe à 45 % seulement chez ceux du Front national.
Mais, sur tous les autres aspects ou presque, le jugement est négatif. Ainsi, 85 % des sondés assurent que l'UE « ne protège pas assez ses intérêts économiques et commerciaux ». Les deux tiers d'entre eux (65 %, et jusqu'à 91 % au FN) estiment que l'Union « devrait rétablir des contrôles aux frontières entre les Etats membres », c'est-à-dire renoncer à la logique même de sa construction. Un pourcentage similaire (63 %) considère que l'UE est « un gaspillage de l'argent des contribuables ». Et il se trouve même 43 % des sondés (et 76 % des sympathisants FN) pour juger que l'Union européenne est « une menace pour notre identité nationale ».
L'attitude à l'égard de la monnaie unique illustre de façon éloquente cette résignation critique. Près des trois quarts d'entre eux (73 %) estiment que, « sur le principe, l'euro est une bonne idée » et le même pourcentage souhaite que « la France reste dans l'euro ». Mais une majorité (54 %) considère tout de même que « globalement, l'euro présente plus d'inconvénients que d'avantages pour la France ».
Là encore, l'électorat du Front national se distingue très nettement : à 66 %, il souhaite que l'on sorte de l'euro pour revenir au franc et, à 82 %, il juge que l'euro présente plus d'inconvénients que d'avantages, quand ce n'est le cas, si l'on ose dire, que de 47 % des sympathisants socialistes et de 42 % de ceux de l'UMP.
Fort logiquement, 67 % des personnes interrogées estiment donc qu'« il faut renforcer les pouvoirs de décision dans notre pays, même si cela doit conduire à limiter ceux de l'Europe » : c'est le cas de 72 % des sympathisants du Front de gauche, de 56 % des socialistes, de 46 % des écologistes, de 53 % des centristes, de 67 % des sympathisants de l'UMP et de 86 % de ceux du FN. Pour 21 %, au contraire, il faut approfondir l'intégration européenne et « renforcer les pouvoirs de décision de l'Europe, même si cela doit conduire à limiter ceux de notre pays » ; même chez les centristes, les plus favorables à l'UE, ils ne sont que 36 % à le souhaiter.
Enfin, le décalage est très net entre ce qui est perçu comme les questions les plus importantes pour l'Europe aujourd'hui, et ce qui est ressenti comme les principales préoccupations des Français. Ainsi, la crise de la zone euro est considérée par 24 % comme la question la plus importante pour l'Europe, mais par 11 % seulement comme une question importante pour eux-mêmes. A l'inverse, 29 % placent le pouvoir d'achat en tête de leurs préoccupations, quand 14 % seulement jugent que c'est une question importante pour l'Europe.
IMPUISSANCE DES PARTIS DE GOUVERNEMENT
Plus saisissant encore, 49 % des sondés estiment qu'aucun parti ne propose de bonne solution pour répondre à leurs préoccupations. Seul le FN tire son épingle du jeu sur l'immigration. Mais ni le PS ni l'UMP ne sont jugés capables (par près des deux tiers des Français) de répondre aux questions du pouvoir d'achat, du chômage ou des retraites.
Cette impuissance des partis de gouvernement, ajoutée au jugement désabusé ou critique sur l'Europe, explique le faible niveau de participation électorale attendue le 25 mai.