LE MONDE | 22.04.2014 à 11h36 • Mis à jour le 22.04.2014 à 11h54 | Propos recueillis par Marie Charrel
Benoît Cœuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne, le 12 février, à Francfort.
La zone euro va mieux, la rigueur a permis de réduire les déficits, mais la monnaie unique contribue au tassement des prix. Voilà le tableau que dresse Benoît Coeuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne (BCE) et ancien du Trésor français, alors qu'Eurostat devait publier, mardi 23 avril, les chiffres 2013 de la dette publique dans l'Union européenne. Il appelle les Etats à poursuivre leurs efforts.
Les dettes publiques de la zone euro sont-elles soutenables ?
Les pays de l'union monétaire ont beaucoup réduit leurs déficits. Maintenant que la croissance revient, prolonger l'effort va permettre de faire baisser les ratios d'endettement public.
L'austérité demandée aux pays sous assistance de la « troïka » a eu un impact récessif plus fort qu'anticipé. Est-on allé trop loin dans la rigueur ?
L'assistance financière de l'Europe et du Fonds monétaire international (FMI) a donné du temps à ces pays pour infléchir des tendances économiques et financières qui n'étaient plus soutenables. N'oublions pas que, sans elle, l'ajustement aurait été plus brutal.
La rigueur s'atténue maintenant en zone euro, mais ce n'est pas parce que la dette revient à la mode. C'est parce que la plupart des pays ont fait le plus dur et commencent à en voir les fruits.
L'euro est-il trop élevé ?
La fascination pour le taux de change est une passion française, unique en zone euro. Le fait que la France est un des seuls pays de la zone dont les comptes extérieurs sont dans le rouge n'y est sans doute pas étranger. Or l'union monétaire prise dans son ensemble dégage un excédent courant : la solution pour Paris est donc d'améliorer sa compétitivité, comme le prévoit d'ailleurs le gouvernement.
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L’inflation ralentit encore en zone euro
Dans la zone euro, les prix à la consommation enregistrent une hausse de 0,7 % pour le mois de février. Les prévisions tablaient sur 0.8% comme en janvier dernier. Il s’agit là d’un creux qui n’avait pas été atteint depuis 4 ans. Pour mémoire, il y un an, à la même période, le taux d’inflation s‘établissait à 1.8%. Alors qu’en novembre dernier, la Banque centrale européenne avait rabaissé son taux directeur à 0.25%, un plus bas historique, le président de la BCE Mario Draghi déclare que de nouvelles mesures ont été mises en place, afin de protéger la zone euro du risque déflationniste.
Cela ne signifie pas que la BCE est indifférente au taux de change. Certes, nous n'avons pas d'objectif de taux, mais c'est l'un des facteurs que nous prenons en compte pour décider de la politique monétaire. La question est pour nous de savoir si le niveau et les perspectives d'évolution de l'euro risquent de freiner le retour de l'inflation à un niveau proche et inférieur à 2 %, qui est notre définition de la stabilité des prix et le coeur de notre mandat.
Il est certain que l'appréciation de l'euro depuis l'été 2012 a contribué au faible niveau actuel de l'inflation. Toutes choses égales par ailleurs, plus l'euro est fort, plus une politique monétaire accommodante est justifiée.
L'inflation basse observée dans la zone euro affecte également l'ensemble des économies avancées. Comment l'expliquer ?
Il n'y a pas de réponse simple à cette question. Plusieurs facteurs entrent en jeu. A commencer par la situation difficile observée sur le marché du travail de la plupart des pays industrialisés. Le taux de chômage reste très élevé dans la zone euro. S'il est plus bas aux Etats-Unis, de nombreux Américains se sont retirés du marché du travail.
A cela s'ajoute le désendettement des ménages et des entreprises, qui pèse sur leur consommation et leur investissement, et d'autres facteurs comme le ralentissement de l'économie chinoise, qui pèse sur le prix des matières premières énergétiques et alimentaires, ainsi que le tassement des prix de l'énergie, en partie lié au développement du gaz de schiste aux Etats-Unis. La question est de savoir si ces évolutions sont durables. C'est une question qui se pose à toutes les grandes banques centrales et pas seulement à la BCE
Comment la BCE pourrait-elle agir sur le niveau de l'euro ?
Nous disposons de plusieurs instruments dans l'éventualité où il serait nécessaire d'assouplir notre politique monétaire. Nous avons encore de la marge pour réduire le principal taux directeur .
Nous pouvons aussi faire passer en territoire négatif le taux de la facilité de dépôt – il rémunère les dépôts au jour le jour des banques auprès de la BCE. Enfin, lors de sa dernière réunion, le conseil des gouverneurs s'est déclaré unanimement prêt à étudier des solutions non conventionnelles, ce qui inclut potentiellement l'assouplissement quantitatif, si les circonstances l'exigeaient.
Cet assouplissement quantitatif concernerait-il des achats de dettes publiques ou privées ?
Dans l'éventualité où il serait envisagé, cet outil devrait intervenir sur une gamme d'actifs assez large pour injecter assez de liquidités dans l'économie. Le choix des actifs publics ou privés que devrait alors racheter la BCE dépendrait de trois considérations.
Une considération d'efficacité, d'abord, pour s'assurer que les mesures prises se transmettent bien à l'économie réelle, notamment au crédit aux entreprises. Une considération de faisabilité, ensuite. Les marchés financiers européens sont différents des marchés américains : un assouplissement quantitatif pour la zone euro serait donc différent du « quantitative easing » américain. Enfin, les achats d'actifs devraient se faire dans le respect du mandat qui interdit à la BCE de financer directement les Etats. La réflexion est en cours sur tous ces aspects.
J'ajoute qu'une initiative monétaire, quelle qu'elle soit, ne sera efficace que si les banques de la zone euro sont aptes à recommencer à prêter aux entreprises. La revue des bilans bancaires que la BCE mène cette année est cruciale. Si elle est perçue comme assez stricte et objective, elle permettra de rétablir la confiance dans le secteur.
La zone euro a-t-elle intérêt à développer le financement de l'économie par les marchés, comme aux Etats-Unis ?
Oui, même si l'idée n'est pas de copier les Etats-Unis. La croissance européenne repose presque exclusivement sur le financement des ménages et des entreprises par les banques. Cela a bien fonctionné pendant longtemps, les banques européennes ont fait leur travail. Mais la crise mondiale de 2007, puis la crise de la zone euro ont révélé que dépendre de façon aussi exclusive d'un seul mode de financement est un facteur de fragilité.
Développer le financement par les marchés, via les ABS (créances d'entreprises titrisées) ou par exemple, les émissions obligataires pour les entreprises de taille moyenne, rendrait le système financier plus équilibré et plus robuste aux chocs. C'est indispensable car par définition, on ne sait pas où la prochaine crise frappera.
Dans cette optique, la BCE et la Banque d'Angleterre suggèrent de revoir la réglementation européenne des ABS. Comment ?
Les régulateurs européens discutent en effet du sujet car la zone euro a besoin de ces instruments. C'est un chantier de moyen terme, dont l'objectif ne doit être en aucun cas de recréer le marché de la titrisation tel qu'il existait avant la crise.
Les « nouveaux ABS » doivent être différents des anciens. S'ils sont plus transparents et plus simples, alors ils seront moins risqués et la réglementation pourra prendre en compte ce moindre risque, notamment pour les exigences en fonds propres des banques et des assurances. Il ne s'agit pas de revenir sur la moralisation de la finance menée depuis 2008, mais d'encourager des instruments qui financent l'économie.
Les taux souverains espagnols, grecs, italiens et portugais ont fortement baissé. Les marchés ne sont-ils pas trop optimistes ?
Non, à condition que les réformes se poursuivent. Les investisseurs ont confiance dans la dynamique de réforme des Etats de la zone euro, y compris la Grèce. Le niveau des taux n'est justifié que si les réformes sont mises en oeuvre comme prévu. C'est vrai dans les petits pays comme dans les grands.
La France vient d'annoncer 50 milliards d'euros d'économies. Tarde-t-elle à se réformer ?
Elle n'a pas été soumise aux mêmes pressions ni au même stress financier que les pays périphériques de la zone euro. Bénéficiant de la bienveillance des investisseurs, elle a pu décider elle-même du rythme de ses réformes. Mais cela ne signifie pas que celles-ci soient moins nécessaires.
La BCE sera chargée bientôt de la supervision des banques. Cela ne fait-il pas trop de pouvoirs pour une seule institution ?
Il est vrai que la BCE aura des pouvoirs accrus. Mais comme dans tout système démocratique, ces pouvoirs auront de fortes contreparties. En matière de contrôle bancaire comme de politique monétaire, l'institution sera redevable de ses décisions, selon des modalités qui ont fait l'objet d'un accord avec le Parlement européen.