Le Monde.fr | 24.02.2014 à 19h08 • Mis à jour le 24.02.2014 à 21h14
Deux millions d'euros détournés en deux ans, des dizaines de faux documents, une cinquantaine de comptes en banques, plus d'une centaine de fausses identités... et derrière cette fraude historique à Pôle emploi, un seul homme.
L'histoire de Philippe Lemoual, racontée par Le Parisien, lundi 24 février, met en lumière l'une des plus grosses arnaques à cet organisme parmi les milliers recensées.
Chaque année, la Cour des comptes dénonce l'insuffisance des contrôles et de la répression dans ce domaine. Dans son rapport annuel, rendu public en février 2014, même s'ils notent des progrès, les magistrats classent la question de la fraude à Pôle emploi dans la catégorie : « la cour insiste », synonyme dans leur langage d'un « passable, mais peut mieux faire ».
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UNE PROGRESSION DE LA FRAUDE... ET DE SA RÉPRESSION
Chaque année, plusieurs dizaines de millions d'euros versés dans le cadre de l'indemnisation chômage finissent dans la mauvaise poche. « La nouvelle enquête conduite par la Cour en 2013 a permis de relever les progrès accomplis, mais également de mettre en lumière la nécessité d'améliorer la performance de la politique de prévention et de lutte contre la fraude menée par Pôle emploi », prévient la Cour, en introduction, avant de décliner les chiffres.
Entre 2009 et 2012, les préjudices subis détectés ont bondi de 9,2 millions à 39,3 millions d'euros. Dans le même temps, les préjudices évités grâce à la prévention et à la répression sont passés de 13,7 millions à 37 millions d'euros. Cette hausse doit cependant être corrélée à une augmentation globale des allocations versées de 12 % depuis 2008, dans un contexte de crise économique à travers le pays et de forte poussée du chômage.
Mais pour mesurer le préjudice subi, Pôle emploi ne s'appuie que sur des chiffres partiels : ceux de la fraude détectée. L'organisme est en réalité dans l'incapacité d'évaluer le risque global de fraude et les secteurs les plus touchés. Ces données se calculent en extrapolant l'impact financier de la fraude sur une quantité importante de dossiers (plusieurs milliers) pris au hasard. Cette démarche recommandée par la Cour depuis 2010 devrait être entamée en 2014.
LES 45 MOYENS DE FRAUDER PÔLE EMPLOI
A travers ses enquêtes, Pôle emploi a détecté 45 moyens de frauder, soit en touchant des allocations indûment, soit en ne s'acquittant pas de ses cotisations. Mais sept fraudeurs sur dix le font en présentant des faux documents (emploi fictif, déclaration d'employeur falsifiée, etc.) ou en ne mentionnant pas ses changements de situation et ses périodes d'activité.
Une grosse partie de la détection de la fraude repose donc sur les agents de Pôle emploi eux-mêmes, et sur leur vigilance au moment de l'enregistrement des pièces. Cent trente personnes ont été chargées de la prévention et de la lutte contre la fraude. En 2012, ces auditeurs ont traité 26 000 signalements ayant donné lieu à la création de quelque 5 000 dossiers considérés comme frauduleux. Six signalements sur dix émanaient de l'extérieur de Pôle emploi (gendarmerie, police, sécu...). Tout cela, sans compter les erreurs : chaque année, 800 millions d'euros sont ainsi versés par erreur à des chômeurs souvent de bonne foi et entraînent des sanctions compliquées à comprendre et à gérer.
LA FAIBLESSE DES SANCTIONS
La palette des sanctions consécutives à une fraude va du simple remboursement des sommes à des peines d'emprisonnement. Mais, d'après la Cour, Pôle emploi n'assure pas assez la publicité de ces sanctions auprès des employeurs et des demandeurs d'emplois, alors que neuf jugements sur dix se concluent en sa faveur. Et dans les faits, seuls 7,5 % des dossiers font l'objet d'une saisine des juridictions pénales (contre 13,6 % en 2009).
Par ailleurs, les préfets chargés de prononcer les sanctions administratives n'auraient pas la main assez lourde. La Cour souhaiterait que Pôle emploi, à l'instar des directeurs d'organismes de sécurité sociale, puisse prononcer ces sanctions administratives.
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