LE MONDE | 17.02.2014 à 19h05 • Mis à jour le 18.02.2014 à 10h06 | Par Philippe Jacqué (Service économie)
Le conseil de surveillance de PSA Peugeot Citroën a validé, dimanche 19 janvier, le principe d'une entrée au capital du groupe de son partenaire chinois Dongfeng et de l'Etat français.
C'est un sondage qui interpelle. Avec l'entrée du constructeur chinois Dongfeng et de l'Etat au capital de PSA Peugeot-Citroën, 69 % des Français ne croient pas au redressement du groupe, selon une enquête Tilder/LCI/OpinionWay du 23 janvier. Mercredi 19 février, le constructeur français devait annoncer une augmentation de capital de 3 milliards d'euros, à laquelle l'Etat et le constructeur chinois doivent participer à hauteur de 750 millions à 800 millions d'euros chacun.
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http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/01/20/le-nouveau-visage-de-psa_4351161_3234.html
Ce qui était encore inconcevable il y a quelques années devient réalité. Il est loin, le temps où les Peugeot reprenaient la filière européenne de Chrysler à la fin des années 1970. A l'époque, PSA avait proposé en échange des usines du groupe américain 20 % de son capital. A quelques mois de l'élection de François Mitterrand à la présidence de la République, la présence de Chrysler dans son capital était un moyen de contrer les velléités de nationalisation de la gauche ! Quarante ans plus tard, c'est bien la gauche qui s'invite au capital de PSA avec le consentement des Peugeot… L'Etat prend-il un risque à participer à l'augmentation de capital d'un groupe qui a cumulé 4 milliards de pertes en deux ans ? Après avoir garanti au printemps 2013 pour 7 milliards d'euros la banque PSA Finance, l'Etat devait-il aller plus loin ? Fait-il preuve de responsabilité ou, au contraire, d'irresponsabilité ? La réponse n'est pas évidente.
Tout le monde a en tête une histoire similaire. Cela se passait en 2009 aux Etats-Unis, la contrée du libéralisme. A la surprise générale, L'Etat américain reprend General Motors, alors en faillite, et y injecte plus de 60 milliards de dollars (44 milliards d'euros). A l'époque, Washington impose une cure d'austérité au constructeur de Detroit : des dizaines d'usines ferment, des milliers d'emplois disparaissent, et, pour ceux qui restent, la paie est revue à la baisse… Cinq ans plus tard, le Trésor américain est sorti du capital, avec une moins- value de 10 milliards de dollars. Mais le groupe est dans une forme éclatante : 3,8 milliards de dollars de bénéfices…
« En France, nous n'avons pas la même culture, euphémise un conseiller ministériel. Si nous aidons financièrement PSA, ce n'est pas pour le saigner à blanc. Au contraire, c'est pour lui donner des perspectives d'avenir. » Et garantir son ancrage hexagonal vis-à-vis de l'autre futur actionnaire, Dongfeng, un constructeur dépendant directement de l'Etat chinois.
Avec cette entrée, l'Etat stabilise le capital d'un groupe qui fait vivre directement 91 000 personnes et indirectement plus de 200 000 autres en France. Il conserve également le premier déposant de brevets dans l'Hexagone. Laisser cette pépite s'écrouler ou la céder à bon compte à un concurrent étranger n'était pas une option. Si l'Etat s'engage, il doit le faire en tant qu'investisseur avisé. Vis-à-vis de la Commission européenne, c'est à cette seule condition que l'Etat peut sauver PSA. Un investisseur avisé est quelqu'un qui investit, par exemple, aux côtés d'un autre investisseur privé et pour une période limitée…
EXIGENCE EUROPÉENNE
En 2003, Nicolas Sarkozy était passé outre cette exigence européenne. Le ministre de l'économie avait imposé le sauvetage d'Alstom. L'histoire a bien fini. En 2006, l'Etat en est sorti avec une confortable plus-value. Tout en adossant Alstom à Bouygues, un groupe solide.
Si l'entrée de l'Etat dans PSA est compréhensible, ce choix interroge. Quelle politique le gouvernement va-t-il défendre au sein du conseil de surveillance, où il ne détiendra que deux postes sur quatorze ? La question est d'autant plus intéressante que l'Etat est toujours actionnaire à 15,01 % de Renault, et qu'il a accepté sans mot dire le transfert de la production de véhicules vers des pays à plus bas salaires. En 2003, Renault produisait 1,3 million de véhicules en France, contre 500 000 en 2013. D'un point de vue purement économique, et au vu de ses résultats bénéficiaires, ces délocalisations ont été bénéfiques à Renault, qui a pu ainsi réduire ses coûts et conserver sa compétitivité. Mais ses effectifs en France en ont pâti, et l'emploi, l'une des priorités de l'Etat, a été maltraité…
Que fera-t-il alors que PSA produit cher en France des véhicules qu'il ne peut vendre avec une marge suffisante pour se développer ? Se battra-t-il pour le maintien d'usines et d'emplois en France ? Et que dira-t-il quand bientôt il sera question de créer une usine en périphérie de l'Europe pour produire à bien moindre coût qu'en France ? Ce sera vécu comme une nouvelle délocalisation, même si, en France, PSA assure qu'il produira, en 2016, un million de véhicules.
A moyen terme, comment l'Etat pourra-t-il sortir de PSA, comme il y est obligé. S'il sort avant dix ans, ni Dongfeng ni la famille Peugeot ne pourront reprendre ses parts car une clause le leur interdit. L'Etat pourrait sortir dans un avenir proche de PSA au profit d'un troisième constructeur allié du groupe français. Mais lequel ? Après une période de dix ans, en revanche, l'Etat devra prendre une décision. Il pourra vendre ses actions à Dongfeng, à la famille ou sur le marché. La famille pourra-t-elle un jour retrouver son statut d'actionnaire de référence, et en conserver l'ancrage français ? Ou Dongfeng prendra-t-il les rênes ?
Dans dix ans, PSA pourrait bien réellement devenir chinois.