Le Monde.fr | 11.12.2013 à 04h30 • Mis à jour le 11.12.2013 à 09h14 | Par Philippe Escande
La crise, quelle crise ? Pour les deux tiers des Français, les difficultés économiques actuelles ne relèvent pas d'une crise, même importante, mais d'une « mutation profonde et durable de la société ». C'est la première surprise du sondage réalisé par l'institut Ipsos pour Lire l'économie et Le Monde, à l'occasion de la 15e Journée du livre d'économie, qui se tiendra à Bercy jeudi 12 décembre et où sera remis le Prix du livre d'économie. Cette étude, réalisée auprès d'un échantillon de 1 004 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, dresse un état des lieux sans concession de la situation économique de la France.
Sondage Ipsos Le Monde sur la perception de la crise par les Français.
Bien sûr, les clivages politiques demeurent, ils sont ainsi 85 % à droite et 91 % au Front national à voir la France en déclin, contre 48 % des sympathisants de gauche. Il n'empêche, dès que l'on évoque les freins à la croissance et les handicaps de pays, de plus larges majorités se dégagent. Plus de 85 % des personnes interrogées pointent la fiscalité des ménages et des entreprises comme un handicap, 73 % la faible motivation des salariés et 61 % la médiocre qualité du système scolaire.
Même forme de consensus lorsque l'on évoque les secteurs dont l'importance dans l'économie française va augmenter. Si, sans surprise, les deux tiers des sondés citent en premier les nouvelles technologies, ils sont seulement 14 % à voir l'industrie progresser. Et, de gauche comme de droite, plus de 70 % d'entre eux estiment que la croissance est désormais ailleurs. « Les Français ne croient pas au discours dominant du retour de l'industrie », assène Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsos. Une page se tourne, l'avenir est post-industriel, notamment dans la high-tech, l'énergie et les services.
AUGMENTER LES SALAIRES
Que faire ? C'est là que se dessine, en creux, le portrait psychologique des Français. Indécrottables keynésiens, ils persistent à voir la sortie de crise par la relance de la consommation. Quand on leur demande ce qui contribue le plus à la croissance, ils citent l'augmentation des salaires, à près de 90 %.
Sondage Ipsos Le Monde sur la perception de la crise par les Français.
De même, ils estiment, sans surprise, que la France est bien placée en matière de protection sociale, d'infrastructures de transport ou d'innovation. L'Etat providence est plébiscité. Mais, dans le même temps, le Français se fait libéral. L'entreprise n'est plus un gros mot, le moins d'Etat non plus, et la majorité des Français juge le poids de la fiscalité comme un frein à la croissance. Selon Ipsos, 59 % des Français estiment qu'il faut limiter le rôle de l'Etat. C'est même le cas de 32 % des sympathisants de gauche. Et quand on leur demande en qui ils ont confiance pour relancer la croissance, ils évoquent… les Français eux-mêmes (54 %) et les entreprises (43 %). Loin, très loin des partis politiques. Seuls 14 % des Français font confiance à la droite pour les sortir de l'ornière et 6 % à la gauche. « Cela reflète la déconsidération du politique, que nous retrouvons dans toutes nos études », assure M. Teinturier.
Sondage Ipsos Le Monde sur la perception de la crise par les Français.
Quant aux mesures à prendre, il y a celles que l'on souhaite, comme l'augmentation des salaires ou la mise sous condition des allocations familiales, et celles que l'on juge nécessaires, même si elles ne sont pas souhaitables, comme la réduction des allocations chômage, la baisse des services publics, l'allongement du temps de travail ou la limitation du remboursement des actes médicaux. « Tout se passe comme si la hausse de la fiscalité a montré aux Français le lien entre leur argent et la dépense publique. Ils comprennent que l'équation devient impossible, d'où la tension actuelle. Comme l'accouchement d'un nouveau modèle dans la douleur », ajoute M. Teinturier.
Se voulant réalistes, les Français ne croient plus au retour d'une croissance forte dépassant les 3 %, mais dessinent néanmoins une sortie de crise qui ne se fera pas sans sacrifice.
Sondage Ipsos Le Monde sur la perception de la crise par les Français.
Philippe Escande