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Guerre fratricide chez les islamistes turcs
Mis à jour le 25/12/2013 à 18:56 - Publié le 25/12/2013 à 17:02
Recep Tayyip Erdogan accompagné de son épouse salue ses supporteurs venus le soutenir mardi à l'aéroport Esenboga à Ankara
Le scandale financier qui éclabousse le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan a viré à la crise politique avec la démission de trois ministres. Le premier ministre dénonce un « complot ».
Après le mouvement protestataire de la société civile en juin dernier, une affaire de corruption, que Recep Tayyip Erdogan avait pourtant promis d'éradiquer, ébranle le chef du gouvernement turc. Trois de ses ministres ont démissionné mercredi à la suite d'un scandale qui éclabousse l'élite islamo-conservatrice au pouvoir depuis 2002. L'un d'eux, visiblement furieux d'avoir été contraint de quitter ses fonctions, a jeté un pavé dans la mare en pressant Erdogan d'en faire autant «pour le bien de la nation».
Les ministres de l'Intérieur, de l'Économie et de l'Environnement ont jeté l'éponge après l'arrestation, le 17 décembre, de leurs fils respectifs avec vingt et une autres personnalités, élus ou hommes d'affaires. Tous sont soupçonnés de corruption, fraude et blanchiment d'argent dans une affaire de transactions illégales, vente d'or notamment, entre la Turquie et l'Iran (placé sous embargo par la communauté internationale).
Une «conspiration»
La banque publique Halk Bankasi aurait joué un rôle clé dans ce trafic. Son PDG est aussi sous les verrous. La police aurait découvert chez lui 4,5 millions de dollars dissimulés dans des boîtes à chaussures. Ces trois démissions anticipent un remaniement attendu d'ici à la fin de la semaine. Un quatrième ministre, en charge des Affaires européennes, est lui aussi menacé d'une procédure judiciaire pour le même dossier.
À l'instar de ses collaborateurs, Recep Tayyip Erdogan évoque une «conspiration» ourdie par «un État dans l'État». Il n'a pas nommément cité les responsables de cette «sale opération», mais tous les observateurs ont reconnu dans cette mise en cause la puissante confrérie musulmane de Fethullah Gülen. Cette puissante organisation, baptisée Hizmet (Service), dispose de ses propres médias, de ses universités, de ses cercles de réflexion et de ses soutiens dans les affaires ou la fonction publique. Allié de l'AKP (le parti d'Erdogan) depuis 2002, Hizmet est entré en guerre contre le gouvernement à la suite d'un projet de loi visant à supprimer les écoles privées. Il est très influent au sein de la police et de la magistrature. C'est la raison pour laquelle le premier ministre a lancé une purge sans précédent au sein de la hiérarchie policière. En une semaine, une centaine d'officiers, dont le préfet de police d'Istanbul, ont déjà été démis. Le chef du gouvernement les accuse d'«abus de pouvoir», en clair, de ne pas avoir informé leur tutelle politique de l'enquête qui la vise.
Longtemps larvée, cette guerre fratricide se joue désormais sur la place publique. Le prédicateur Fethullah Gülen, qui vit aux États-Unis, a dégainé le premier. «Ceux qui ne voient pas le voleur mais s'en prennent à celui qui essaie de l'attraper, que Dieu incendie leur maison, ruine leur foyer et détruise leur unité.» Erdogan accuse en retour Gülen de vouloir le «salir» et «détruire» les progrès accomplis depuis dix ans. Il s'est engagé à«mettre un terme à ce vilain jeu de la même façon que nous avons mis un terme (aux manifestations de juin)». En juin, des projets d'urbanisme lancés à l'initiative du premier ministre avaient déclenché un mouvement de contestation sans précédent contre la dérive autoritaire d'Erdogan. Les manifestations avaient duré trois semaines et s'étaient soldées par six morts et 8000 blessés.
Contesté aussi dans son propre camp
Dimanche dernier, à l'appel de l'opposition, plusieurs milliers de manifestants se sont de nouveau rassemblés à Istanbul pour exiger la démission du gouvernement. Certains brandissaient des boîtes à chaussures. Mais cette fois, le premier ministre est contesté aussi dans son propre camp. Cette affaire de corruption risque de bouleverser la donne politique à l'approche d'une série d'échéances électorales, qui s'achèveront avec les législatives de 2015. Prévues en mars, les municipales s'annoncent cruciales, notamment pour le contrôle de la plus grande ville du pays, Istanbul.
L'enjeu est d'autant plus important pour le premier ministre que ce scrutin local, où l'AKP partait jusqu'ici largement favori, doit lui servir de tremplin pour l'élection présidentielle du mois d'août. Recep Tayyip Erdogan n'a pas encore déclaré ses intentions, mais, contraint par les règles en vigueur au sein de l'AKP de quitter la tête du gouvernement aux législatives de 2015, il ne fait pas mystère de briguer le poste de chef de l'État - celui-ci sera élu pour la première fois au suffrage universel direct.