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Au Caire, les partisans de Morsi comptent leurs morts
Le 27.07.2013 à 18h31 • Mis à jour le 28.07.2013 à 01h36Les partisans du président déchu Mohamed Morsi pleurent leurs morts, dans le camp Rabiya Al-Adawiya, samedi 27 juillet.
Dans l'hôpital de campagne installé au centre du camp des partisans du président déchu Mohamed Morsi, à Rabiya Al-Adawiya, au Caire, des hommes et des femmes se pressent, la mine affligée, pour accompagner les dépouilles des martyrs. Les corps de 37 hommes, tous tués par balles samedi 27 juillet au petit matin près du camp selon Amal Ibrahim, une médecin du camp, sont emmenés un à un par les équipes de l'hôpital dans des ambulances en direction de la morgue. Au passage des dépouilles, enroulées dans des linceuls maculés de sang, l'assistance leur adresse une dernière prière, mêlée aux cris appelant à "exécuter [Al-]Sissi, le tyran".
Dans un appel lancé mercredi, le général Abdel Fattah Al-Sissi, ministre de la défense et vice-premier ministre, avait exhorté les
"Egyptiens honnêtes" à manifester afin de lui
"donner mandat pour en finir avec la violence et le terrorisme". Des milliers d'Egyptiens lui ont accordé, en manifestant par milliers vendredi place Tahrir, ce blanc-seing pour mater la contestation organisée depuis près d'un mois par les partisans du président déchu. Au sein du campement de Rabiya, la contre-manifestation organisée par les partisans de la
"légitimité" pour
"abattre le putsch" avait rassemblé des dizaines de milliers de personnes. Venus défier les
"menaces" de Sissi et son
"appel à la guerre civile", les manifestants s'étaient rassemblés au-delà des cordons de sécurité du camp, déjà noir de monde. Prêts
"à mourir en martyr", mais confiants que la force du nombre dissuaderait les forces de sécurité de toute intervention qui ne pourrait amener qu'à un bain de sang.
GAZ, CARTOUCHES DE GRENAILLE ET BALLESLa confrontation a pourtant eu lieu. Alors que des milliers de personnes se tenaient dans l'avenue Nasr menant à l'entrée principale du camp, des forces de police stationnées à quelques centaines de mètres de là, sur le pont du 6-Octobre, ont lancé l'offensive aux environs d'une heure du matin, rapportent plusieurs témoins. Une heure auparavant, le ministère de l'intérieur avait annoncé qu'il entendait évacuer le sit-in de Rabiya Al-Adawiya par tous les moyens légaux.
"Nous étions là à discuter entre nous. La police a commencé à se positionner. Les militaires qui protègent les tribunes face à la tombe de l'ancien président Sadate leur ont transféré des armes. La police a commencé à tirer des gaz lacrymogènes", rapporte Walid Al-Sharaby, un juge de 40 ans qui était présent sur les lieux.
Au passage des dépouilles, enroulées dans des linceuls maculés de sang, l'assistance leur adresse une dernière prière, mêlée aux cris appelant à "exécuter [Al-]Sissi, le tyran"
Pour protéger le campement, et surtout les femmes et les enfants assis à quelques dizaines de mètres de là, les hommes ont commencé à arracher les briques composant les trottoirs pour improviser des murs de défense.
"On ne voyait plus rien à un mètre. La police, accompagnée de baltaguis ['voyous'], a commencé à nous tirer dessus avec des cartouches de grenaille vers 3-4 heures du matin, puis à balles réelles", poursuit l'homme, physiquement marqué par cette nuit d'affrontements.
"Des snipers étaient positionnés sur le pont du 6-Octobre et sur les immeubles de l'université d'Al-Azhar. Ils nous ont tiré dessus", précise Hicham, un autre manifestant, indiquant que plusieurs milliers de personnes se trouvaient sur les lieux, totalement plongés dans le noir.
L'intervention a été menée, aux dires des manifestants, par les forces spéciales de sécurité mais non par l'armée. Les manifestants, qui ont répliqué par des jets de pierre, et probablement au moyen d'armes légères, se sont retrouvés pris dans des combats au corps-à-corps sur l'avenue et dans les jardins attenants, ajoute Hicham. Les premières victimes ont rapidement été évacuées par ambulance et en transports privés vers l'hôpital de campagne du camp et dans les hôpitaux alentours. Une version que dément le ministère de l'intérieur.
"ILS NE TIRENT PAS POUR BLESSER, ILS TIRENT POUR TUER"Selon le porte-parole du ministère de l'intérieur, le général Hani Abdellatif, des partisans de Mohamed Morsi, partis de leur campement à la mosquée Rabaa Al-Adawiya, ont tenté de bloquer la circulation sur le pont du 6-Octobre menant à l'aéroport du Caire et se sont heurtés aux riverains d'un quartier voisin. Les forces de sécurité sont intervenues pour s'interposer et la police n'a
"utilisé que du gaz lacrymogène", a-t-il dit, laissant entendre que les dizaines de morts avaient été tués par des habitants des environs. Une enquête a été ouverte par le procureur général.
Les médecins de Rabiya Al-Adawiya dressent un bilan de 37 morts, la plupart touchées à la tête.
Au terme des affrontements, qui se sont poursuivis jusqu'à neuf heures du matin, les médecins de Rabiya Al-Adawiya dressent un bilan de 37 morts et plus de 4 500 blessés par coups de couteau, cartouches de grenaille et balles réelles.
"Ils ne tirent pas pour blesser, ils tirent pour tuer", a déclaré le porte-parole de la confrérie des Frères musulmans, Gehad El-Haddad, précisant que les victimes étaient le plus souvent touchées à la tête ou à la poitrine. Le médecin légiste Ibtisam Zein a confirmé que la plupart des victimes avaient été atteintes à la tête. Le ministère de la santé égyptien donne quant à lui un bilan de 38 morts dans ses hôpitaux d'Etat, portant ainsi le bilan à 75 morts.
L'avenue Nasr ressemble désormais à un champ de bataille. Jonchée de débris de pierres, la voie est ponctuée de sanctuaires improvisés avec des fleurs et des pierres sur les lieux maculés de sang où sont tombés les martyrs. L'air est encore empli des relents âcres des gaz lacrymogènes de la veille.
ENTRE CRAINTE ET COLÈREDésertée, l'avenue ne voit plus passer que les groupes de manifestants venant se recueillir sur les lieux du
"massacre" et les gardes de sécurité désormais répartis sur plus de cinq cent mètres avant l'entrée principale du camp. Des hommes armés de bâtons, postés derrière des murets de pierre et des barrières de fer forgées arrachées aux trottoirs improvisés tous les cent mètres, contrôlent les identités des arrivants. Face à eux, à environ trois cents mètres, les forces de sécurité sont toujours stationnées au bout de l'avenue, bloquant les principales voies d'accès au camp. Chaque côté se jauge, avec pour arbitre les soldats avachis sur les marches du stade. Quand les jeunes gens positionnés du côté des forces de l'ordre semblent s'approcher de trop près, les manifestants postés en première ligne tapent sur des barres de métal, battant le rappel de leurs coreligionnaires qui affluent alors en nombre aux cris d'
"Allah Akhbar".
Le camp de Rabiya Al-Adawiya a repris sa routine, après le départ des dizaines de milliers de sympathisants qui avaient afflué la veille pour une soirée de mobilisation. Mais sur les visages fermés, et dans les yeux rougis des manifestants, on peut voir que quelque chose a changé. Les violences meurtrières qui ont égrené les manifestations lancées aux quatre coins de la ville ces dernières semaines ont désormais gagné les portes du campement, échauffant davantage les esprits, encore marqués par la mort de 53 manifestants pro-Morsi devant le siège de la garde républicaine le 8 juillet. Si la confrérie des Frères musulmans a appelé à poursuivre ses manifestations pacifiques, rien ne dit qu'elle pourra contenir la colère des participants au sit-in. L'annonce faite samedi après-midi par le ministère de l'intérieur de l'évacuation
"très prochaine et de façon légale" du camp attise tout à la fois les craintes d'un nouveau bain de sang et la colère des manifestants de Rabiya, déterminés à se battre jusqu'à la mort.