WEB - GOOGLE - ACTUALITE > Société
Dalil Boubakeur : «L'Islam n'est pas une religion comme les autres»
Mis à jour le 21/06/2013 à 19:00 - Publié le 21/06/2013 à 18:03 Dalil Boubakeur: «Il est absolument nécessaire et vital que les musulmans se déterminent nettement par rapport aux problèmes liés à l'intégrisme, à la politisation des mouvements islamistes en France et aux menées terroristes.»
INTERVIEW - Recteur de la Mosquée de Paris et ancien président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Dalil Boubakeur souhaite que «les mouvements modérés de l'islam» soient plus soutenus.- Pourquoi refusez-vous de vous présenter pour un nouveau mandat à la tête du CFCM? Dalil BOUBAKEUR. - Sur la base d'un règlement électoral demeuré inchangé, le scrutin régional des élections du CFCM a donné une écrasante majorité au Rassemblement des musulmans de France (RMF). J'en tire donc la conclusion, et je m'interdis de briguer une présidence. C'est une question de dignité. Je propose à ma place Me Chems-eddine Hafiz. Il est la personne la plus indiquée.
Une récente polémique l'opposant aux autorités marocaines sur la question du Front Polisario ne réduit-elle pas ses chances d'être élu? Je n'ai pas d'autre choix. Ce qu'on lui reproche est lié à un dossier qu'il a traité en tant qu'avocat, donc loin de l'enjeu du CFCM. Et si les organisateurs de l'élection choisissent un autre président, c'est leur affaire…
Cette crise conduit-elle à l'explosion du CFCM? Pas du tout! Ce sont les électeurs issus du système électoral fondé sur la surface occupée par les mosquées qui ont fait un triomphe au RMF. Pourquoi voulez-vous que la Grande Mosquée de Paris s'oppose à cela ? C'est la démocratie. Nous prenons acte.
Est-ce alors une crise institutionnelle? L'UOIF et certaines de nos fédérations régionales ne se sont même pas présentées, sachant que c'était perdu d'avance. Il y a un vrai désenchantement électoral. L'islam ne peut pas être un parti politique avec des majorités ou des minorités. Le consensus entre frères doit régner, et non le triomphe des uns et l'humiliation des autres.
Qu'entendez-vous par humiliation? Nous sommes humiliés, et c'est intolérable. Surtout dans un cadre religieux. Non par la qualité des hommes ou des positions, mais par des critères électoraux numériques qui ont été pensés par l'administration lors de la création du CFCM. L'administration a imaginé que plus la surface d'une mosquée est grande, plus elle a une valeur religieuse. Nous avons toujours dit que ce système de mètres carrés serait source de conflits entre les nationalités d'origine. Le culte, c'est la pratique, et non un résultat géométrique!
Allez-vous quitter le CFCM? Nous participerons dans la mesure où nous ne serons pas gênés, car nous nous trouvons dans une structure où quasiment 100 % des gens ne sont pas de notre avis. Mon retrait peut toutefois donner à réfléchir. Je ne suis pas le seul à contester. Il faut encore améliorer le système, car il y a un vrai mécontentement général. Il faut aussi laisser leur place aux nouvelles générations. Et je ne suis pas un type insupportable qui s'accrocherait pour une gloriole personnelle. Je suis là pour le service de tous les musulmans.
Le ministère de l'Intérieur semble lui aussi en retrait... François Hollande comme Manuel Valls m'ont toujours dit qu'ils ne voulaient pas réunir les musulmans en les enfermant dans une salle pour aboutir à une décision. Ce qui revenait à récuser la méthode Sarkozy. Mais l'administration doit réaliser que l'islam n'est pas une religion comme une autre, à traiter sous l'angle de la loi de 1905. Le ministre Valls n'a pas pris en compte la dimension sociétale de l'islam. Il doit voir que la vie des musulmans de France se détériore et qu'il faut être un bon chimiste pour savoir comment mélanger les réactifs entre musulmans et société française. Pendant ce temps les choses se dégradent avec des influences que je dénonce!
Quelles influences? La communauté musulmane est travaillée par mille vents et courants d'air. Il y a comme partout de l'argent qui circule et des recrutements. L'opinion française est négative à 70 % sur l'islam… Il y a donc une hypersensibilisation. Cela finit par créer des chocs terribles. Il faut au contraire donner de la présence et de l'audience aux mouvements modérés de l'islam. Or qui allons-nous chercher? Tariq Ramadan! Et cela impressionne nos ministres et hauts fonctionnaires, qui n'ont aucun sens de la longue culture de l'islam!
Que faire concrètement? On nous reproche toujours le silence et l'abstention devant des problèmes comme l'affaire Merah. Il est donc absolument nécessaire et vital que les musulmans se déterminent nettement par rapport aux problèmes liés à l'intégrisme, à la politisation des mouvements islamistes en France et aux menées terroristes. Il faut rompre avec le silence des communautés qui demeurent impavides, comme si nous étions complices. Sans cela, le problème de l'islam restera un problème sécuritaire.