WEB GOOGLE - ACTUALITE > Société L'État poursuivi pour n'avoir pas protégé Marina des coups de ses parents
Mis à jour le 11/04/2013 à 21:45 - Publié le 11/04/2013 à 20:58
Le 10 septembre 2009, au Mans, la procureure Joëlle Rieutort et le colonel Pascal Julien montrent la photo de Marina à la presse. Ils enquêtent alors sur la disparition de l'enfant sur un parking, signalée par les parents.
Plusieurs associations estiment que la petite fille aurait pu être sauvée si la justice et les services sociaux n'avaient pas failli.
Petite martyre de 8 ans et demi, Marina n'est pas morte des coups ni des actes de barbarie perpétrés par ses parents pendant des années. Mais de la négligence et de l'inconséquence de l'État, de ses fonctionnaires, de sa justice, de ses services sociaux. C'est en tout cas la conviction de deux associations de protection de l'enfance qui, jeudi matin, ont assigné l'État pour «faute lourde» devant le tribunal d'instance du XIIIe arrondissement de Paris. Une première en France.
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«Le calvaire de Marina doit faire avancer les choses dans ce pays où un à deux enfants meurent chaque jour de maltraitance»
Pierre-Olivier Sur
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L'émotion, dans cette salle d'audience vieillotte et minuscule, est curieusement bien plus prégnante qu'aux assises du Mans, lors du médiatique procès des parents de la fillette en juin 2012. Le recul des mois a voilé la crudité des faits pour révéler la gravité des dysfonctionnements de l'enquête. Des plaies, des cicatrices par dizaines, une croissance en deçà des courbes, une démarche «très atypique», un fort absentéisme scolaire, des certificats médicaux troublants, la sonnette d'alarme de deux institutrices et d'une directrice d'école… le faisceau de suspicions de maltraitance conduit pourtant le parquet, puis le conseil général, à classer sans suite deux signalements, survenus un an avant la mort de Marina. Après, dans l'enquête préliminaire, on ne daignera pas auditionner les témoins qui ont fait part de ces doutes.
«Si la grande mécanique de la justice et les rouages de l'État avaient fonctionné normalement, ce qui est une exigence, Marina aurait pu, aurait dû être sauvée», a plaidé Me Pierre-Olivier Sur, avocat d'Innocence en danger, une des deux associations plaignantes. La salle se glace, déglutit un effroi coupable. Les experts et professionnels de la protection de l'enfance, alertés et garants de sa pauvre existence, n'ont pas su voir la détresse de l'innocente, n'ont pas arrêté la main meurtrière de ses parents.
«Obliger les institutions à voir»«Notre assignation aujourd'hui est un combat à forte symbolique: le calvaire de Marina doit faire avancer les choses dans ce pays où un à deux enfants meurent chaque jour de maltraitance, a martelé Pierre-Olivier Sur. Il faut obliger les institutions à voir, à entendre, qu'elles aient le courage de franchir le mur des bonnes consciences.» Pour Me Rodolphe Costantino, avocat d'Enfance et partage, l'autre plaignante, «l'heure n'est plus à l'émotion, ni même à la recherche des culpabilités mais bien des responsabilités». Les deux associations demandent la condamnation de l'État à 1 euro symbolique.
Singulièrement brève et peu étayée, la plaidoirie de l'avocat de l'État, Me Sandrine Bourdais, a répété que le parquet n'avait jamais disposé d'éléments probants indiquant des maltraitances. «Il a réagi immédiatement en demandant l'audition de Marina et son examen par un expert», a soutenu la défense. D'où il est sorti que «Marina ne s'était plainte de rien» et «n'avait jamais rien révélé». «Comme s'il fallait des aveux de l'enfant pour agir, qui plus est en matière de maltraitance, c'est honteux!, s'indigne Homayra Sellier, présidente d'Innocence en danger. Est-ce à l'enfant de nommer ses bourreaux ou aux professionnels de la protection de l'enfance d'enquêter?»
Mea culpa inéditDans son réquisitoire aux assises, l'avocat général - qui représente le ministère public - avait fait un mea culpa remarqué et inédit: «Marina n'aurait jamais dû mourir. Cette enfant n'a pas eu la protection qui lui était due. Le manque de clairvoyance et de pugnacité des services chargés de la protection de l'enfance, dans lequel je compte le parquet, est un échec éminemment douloureux pour nous.»
De tels aveux judiciaires font espérer aux associations que le tribunal retiendra la «faute lourde». Décision rendue le 6 juin.