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Un an après Merah, le nouvel âge de l'antiterrorisme
Le 16.03.2013 à 10h07 • Mis à jour le 17.03.2013 à 08h00
Siège de la DCRI, à Levallois-Perret.
Appelons-le Mohamed, Ali, ou Jérémy. Converti ou pas, il a entre 18 et 25 ans et il s'est radicalisé sous l'influence d'amis et d'Internet. Mais cet islamiste est désormais prêt à l'action terroriste. C'est en tout cas la conviction des policiers de la direction régionale du renseignement intérieur (DRRI) de sa ville de province.A la demande de leur direction centrale, ou de leur propre initiative, ils ont constitué un dossier. Désormais, il faut choisir : arrêter la surveillance, ou
"judiciariser", c'est-à-dire demander au parquet antiterroriste, à Paris, d'ouvrir une enquête préliminaire qui permettra de mettre en place une surveillance plus poussée sous le contrôle d'un magistrat: micros au domicile, balises GPS sur le véhicule, etc.
Que fait alors le directeur régional ? Il transmet la demande à son directeur zonal, qui va demander à ses équipes d'examiner les éléments réunis. Puis, si le "zonal" juge la requête justifiée, il l'envoie à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), au siège de la direction centrale (DCRI), où elle sera examinée par le bureau
"islamisme" de la sous-direction du contre-terrorisme. Enfin, la sous-directrice du contre-terrorisme la transmettra ou non à ses chefs. Et pas question de sauter une de ces étapes.
C'est, à grands traits, ce qui s'est passé avec le dossier Merah, entre mai 2011 et les tueries de Montauban et de Toulouse les 11, 15 et 19 mars 2012. A grands traits, parce que l'on sait aujourd'hui que s'est également joué, durant cette période, un subtil bras de fer entre les policiers toulousains, persuadés de la dangerosité du jeune homme de 23 ans, et leur hiérarchie parisienne, désireuse de recruter comme source un garçon si bien accointé avec la mouvance salafiste locale.
Un an après le meurtre de trois militaires, d'un père de famille et de trois enfants juifs, les commémorations se sont succédé à Montauban et à Toulouse, cette semaine, avec, en point d'orgue, dimanche 17 mars, à Toulouse, le déplacement de François Hollande, et une marche blanche organisée à la mémoire des victimes. Un an durant lequel les suites de l'affaire Merah ont mis au jour les failles du système mis en place en 2008 par Nicolas Sarkozy, avec la création de la DCRI, qui a fusionné une partie des renseignements généraux et l'ex-direction de la surveillance du territoire (DST).
CRISPATIONS TRADITIONNELLESLa DCRI
"a la maîtrise totale de la judiciarisation de ses informations", a confirmé le juge d'instruction antiterroriste, Marc Trévidic, le 14 février, devant les députés de la commission d'enquête sur le fonctionnement des services de renseignement français.
"La justice attend. Elle peut dire 'non' quand il n'y a pas assez d'éléments dans un dossier, mais c'est tout. Si on [la DCRI] ne vient pas discuter d'un dossier avec elle, il ne va rien se passer", a expliqué le juge, tout en s'étonnant:
"Je ne comprends pas que le procureur ne soit pas associé systématiquement à la discussion de cas concrets. C'est essentiel."Il y a donc la relation justice-renseignement, mais également le maquis des services policiers, avec son manque de coordination et ses rivalités. Entre la DCRI, chargée des
"phénomènes de radicalisation", et les anciens RG (les sous-directions de l'information générale, SDIG), chargés, eux, de la surveillance de l'islam en France. Mais aussi entre la DCRI et la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire (SDAT), qui reste le principal service d'enquête dans ce domaine. Traditionnelles, elles aussi, les crispations entre les policiers de la DCRI et les militaires de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE, renseignement extérieur), étrangement à côté de la plaque dans le dossier Merah.
Devant la commission de la défense de l'Assemblée nationale, le 26 février, le patron de la DCRI nommé par Manuel Valls, Patrick Calvar, a assuré avoir entrepris une réforme qui
"tend (...) à rapprocher nos services de Paris et de province". Un poste de coordinateur transversal a été créé.
"Il fait le lien sur les dossiers urgents. Lorsqu'une demande est à traiter en priorité, il est en capacité de le faire", explique-t-on Place Beauvau.
Des cellules de coordination entre DCRI et SDIG ont également ajouté un nouvel échelon au millefeuille policier, une inspection interne a été créée, et des têtes sont tombées.
"Nous devons ouvrir notre service à d'autres spécialistes [non policiers]. L'enjeu, majeur, implique une révolution culturelle (...). Nous devons en finir avec un fonctionnement corporatiste; si nous ne le faisons pas, nous n'atteindrons pas les objectifs qui nous ont été fixés", a reconnu également M.Calvar.
S'agissant d'une réforme plus large du renseignement, le ministre de l'intérieur attend les conclusions, d'ici à la fin mars, de la mission d'information parlementaire
"sur le cadre juridique applicable aux services de renseignement", présidée par le député (PS, Finistère) Jean-Jacques Urvoas.
Pendant ce temps, la machine judiciaire antiterroriste tourne à plein régime. Selon nos informations, en 2012, 78 personnes ont été interpellées dans le cadre de la lutte contre la mouvance djihadiste, contre 47 en 2011. Trente ont été déférées au parquet, contre 21 en 2011.
"L'activité intense des filières vers la Syrie et le Mali, et plus sporadiquement le Pakistan ou le Yémen, mobilise les services. Ils ne peuvent pas ralentir", estime-t-on dans l'entourage de M. Valls.
Le 5 février, quatre hommes ont été interpellés dans le cadre d'une filière dirigée vers le Sahel ; une partie du
"groupe de Torcy", démantelé en novembre 2012 après un attentat contre une supérette casher à Sarcelles (Val-d'Oise), visait la Syrie.
"Plusieurs dizaines de Français ou de résidents en France se sont déjà rendus en Syrie", et
"il y a aussi quelques individus qui veulent se rendre au Sahel", a estimé Manuel Valls, le 5 février. Les magistrats spécialisés disposent depuis décembre 2012 d'une loi pour pénaliser les djihadistes qui commettent des actes terroristes à l'étranger.
En France, les policiers interpellent sans relâche et de plus en plus tôt des hommes de plus en plus jeunes.
"Je les sens plus inquiets, plus anxieux, avec la crainte de passer à côté de quelque chose", explique M. Urvoas. La dernière affaire en date, à Marignane (Bouches-du-Rhône), témoigne de cette crainte du geste de folie imprévisible. Un an après le premier des sept meurtres commis par Mohamed Merah, trois hommes, Ali, Yohan et Cédric, âgés de 21 à 27 ans, ont été mis en examen pour
"association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste", lundi 11mars. Selon le parquet antiterroriste, ils préparaient,
"à très court terme, un attentat à la bombe".
"VÉLLÉITÉS DJIHADISTES"Seul l'un d'eux, Yohan, était déjà connu de la justice, pour des affaires de cannabis qui lui ont valu quelques mois de prison en 2012. Aucun ne fréquentait la mosquée ni ne se consacrait à la prière, mais Yohan passait des heures sur les sites islamistes. Il faisait des achats en ligne : des kalachnikovs factices et un tee-shirt floqué "Al-Qaida". Il se prenait en photo, affichant les clichés sur Facebook.
Aucun n'a jamais entrepris le moindre voyage. On ne leur connaît aucun lien avec la mouvance islamiste. Mais, voilà quelques mois, une idée leur a traversé l'esprit: trouver des armes et fabriquer des bombes. Ils ont déniché deux pistolets automatiques de calibre 7.65, un .357 magnum. Pour les explosifs, ils ont consulté Internet et fait leurs courses à Bricorama. Chez Ali, les policiers ont trouvé 50 grammes de TATP, un explosif puissant, 150 kg de nitrate et deux litres d'acétone.
Les trois hommes n'avaient aucun projet d'attentat défini, aucun objectif ciblé. La sanction judiciaire potentielle n'en est pas moins sévère : le 11 février, deux cousins de 23 et 27 ans chez qui le même type de produit a été découvert, accusés de
"velléités djihadistes" mais sans projet précis, ont été condamnés à deux et trois ans de prison ferme. Tous ces hommes incarnent le profil redouté de
"l'apprenti terroriste capable de passer à l'action".
"Les arrestations préventives, on en a toujours fait, reconnaît un haut responsable policier.
Mais là, on est sans doute plus vigilants." Au lendemain de l'affaire Merah, une dizaine de cibles avaient également été réévaluées par la DCRI.
Cela signifie-t-il qu'un nouveau Mohamed Merah serait arrêté à temps, aujourd'hui ? Rien n'est moins sûr : dans la lutte antiterroriste, le risque zéro n'existe pas.