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L'Italie menacée d'instabilité politique
Le 23.02.2013 à 10h44 • Mis à jour le 23.02.2013 à 19h56
Le chef de file du Parti démocrate italien Pier Luigi Bersani, lors d'un meeting le 1er février 2013, à Florence.
Toujours favori des sondages malgré la remontée de Silvio Berlusconi et la percée attendue de Beppe Grillo, Pierluigi Bersani, le dirigeant de la coalition de gauche, tend la main. Ses derniers meetings, ses dernières interventions télévisées, avant que la campagne ne s'interrompe tout à fait vendredi 22 février à minuit, ont été consacrés à peaufiner son image de rassembleur :
"Nous n'avons pas besoin d'ennemis, nous ne diviserons pas le pays. Nous voulons gouverner et nous le ferons sans nous enfermer entre nous", a-t-il lancé en direction des électeurs déçus du Peuple de la liberté, le parti fondé par le Cavaliere. Aux "grillini", les partisans du comique blogueur génois, il consent :
"Nous n'avons rien contre ceux qui vont l'écouter. Nous comprenons leur colère et le désamour envers la classe politique. Mais c'est un état d'âme avant d'être une attitude politique."Pourquoi tant de précautions et d'appels du pied ? A vingt-quatre heures du scrutin pour les élections générales (législatives et sénatoriales) des 24 et 25 février, M. Bersani est comme tous les observateurs. Il n'est plus sûr de rien. Si son avance devrait lui garantir la victoire à la Chambre des députés et l'assurance d'obtenir 55 % des sièges en raison de la prime majoritaire accordée à la coalition arrivée en tête, il n'en va pas de même au Sénat, où cette prime est accordée sur une base régionale. Dans le cas où le centre gauche ne remporterait pas les deux régions clés de la Lombardie et de la Sicile, les plus peuplées d'Italie, il devrait chercher une alliance avec les élus centristes de la coalition guidée par Mario Monti. Cette loi électorale, votée en 2005, a été qualifiée de
"cochonnerie" par son propre auteur, l'élu de la Ligue du Nord Roberto Calderoli.
Mais ce montage idéal, soutenu par les milieux d'affaires, l'Eglise et les élites européennes, qui se sentiraient rassurées par un accord entre le social-démocrate peu connu hors des frontières d'Italie et une personnalité plus appréciée à l'étranger que dans son propre pays, peut voler en éclats. La raison ? L'effondrement des intentions de vote en faveur de M. Monti. Interdits de publication deux semaines avant le scrutin, les sondages circulent sous le manteau. L'un d'eux accordait, vendredi, 9 % ou 10 % seulement des voix au président du conseil sortant. S'il ne parvenait pas à franchir ce seuil, le nombre de ses élus pourrait alors s'avérer insuffisant pour garantir une stabilité politique à l'Italie. Déjà, certains évoquent l'hypothèse d'un retour aux urnes ou la formation d'une hasardeuse – et difficile à mettre en place – "grande coalition" entre la gauche, le centre et la droite.
PERTE DE DYNAMIQUE PRONOSTIQUÉEDepuis une semaine, ce scénario catastrophe court les couloirs des partis politiques à Rome, de Piazza Affari, autrement dit la Bourse de Milan, et des sièges des grands instituts bancaires. Des notes alarmantes circulent sur le risque d'une ingouvernabilité de la Péninsule, troisième puissance économique de la zone euro, entrée en récession en 2011 à la suite de lourds plans de rigueur successifs (pour un montant de 300 milliards d'euros jusqu'en 2014) et toujours plombée par l'énormité de sa dette (représentant 127,4 % du PIB). Le "spread", qui mesure l'écart de taux entre les emprunts d'Etat italiens et allemands, remonte. Les taux de la dette italienne à dix ans s'élèvent à 4,50 %, contre 4,16 % début janvier.
"Nous pensons que le courant pro-Europe, pro-austérité est acquis à la victoire, mais la capacité du nouveau gouvernement à réformer sera contrariée par la montée des résistances populaires", écrivent les experts de Citigroup. Mardi 19 février, l'agence de notation Standard&Poor's a publié un rapport visant à répondre aux principales interrogations des investisseurs. En cas de majorité introuvable, S&P pronostique une perte de dynamique dans la mise en place de réformes pour améliorer la croissance.
Décousue, la campagne n'a pas permis de dégager de lignes de force. L'avance de la coalition de gauche, régénérée par les primaires qui en décembre 2012 ont porté M. Bersani à sa tête, a fondu sous l'effet de l'entrée en campagne surprise de M. Berlusconi (pour la sixième fois depuis 1994) et de l'abattage de M. Grillo, le seul à avoir préféré les meetings en plein air, sous la neige ou la pluie, aux débats ronronnants de la télévision. "L'homme normal" de l'Italie s'est contenté de promettre le possible, quand MM. Grillo et Berlusconi jouaient de la surenchère. Le second promettant de rembourser
"en cash ou par chèque" une partie des impôts versé par les Italiens, le premier
"la semaine de 20 heures de travail" et
"un revenu minimum de 1 000 euros". Parallèlement, M. Monti n'a pu trouver sa place dans cette campagne tout entière jouée sur le thème de la fiscalité et dont il est devenu le bouc émissaire.
PARTAGE DE L'ESPACE MÉDIATIQUECette campagne d'Italie a dû également louvoyer entre les obstacles : les scandales politico-financiers qui se sont abattus sur la banque siennoise Monte dei Paschi, proche du Parti démocrate, ou sur l'entreprise d'armement contrôlée par l'Etat Finmeccanica, dont les dirigeants sont soupçonnés d'avoir "arrosé" différents partis, dont celui de la Ligue du Nord, allié de M. Berlusconi. Elle a dû également partager l'espace médiatique avec la renonciation du pape Benoît XVI et le très populaire Festival de la chanson de San Remo... Dans ces conditions, on chercherait en vain un l'expression d'un "grand dessein" pour l'Italie dans les propositions des différents candidats. Ou l'amorce d'un débat de société. Le poids de l'Eglise et son influence sur tous les partis (à l'exception du Mouvement 5 Etoiles, la formation de M. Grillo) ont étouffé tout débat sur les droits civils, comme cela a été le cas en Espagne et en France.
Enfin, la campagne électorale a souligné et amplifié la fracture entre deux mondes qui paraissent aujourd'hui irréconciliables : d'un côté, celui de la "caste politique", de droite comme de gauche, attachée à défendre ses intérêts et, de l'autre, des millions d'Italiens lassés des avantages qu'elle s'accorde et de la chape de plomb qu'elle fait peser sur la société. M. Bersani en est conscient :
"Pour lutter contre cette fracture, il faut des lois claires et transparentes, des règles simples, compréhensibles par tous", a-t-il confié, jeudi, au
Monde. Faudrait-il encore qu'il puisse gouverner.