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Port-Saïd, capitale égyptienne de l'ultraviolence
Mis à jour le 27/01/2013 à 22:23 | publié le 27/01/2013 à 18:53
De la fumée s'est élevée après une rafale de coups de feu alors qu'une foule de plusieurs milliers de personnes était rassemblée à Port-Saïd, dimanche.
Les obsèques des personnes tuées lors des émeutes de samedi ont fait de nouvelles victimes.
À Port-Saïd Quand Port-Saïd n'est pas une ville fantôme, elle est en deuil. Des milliers de personnes sont rassemblées devant la mosquée Maryam. Silence et prière. Puis, une grande clameur, et le cortège part enterrer ses morts au cimetière. Tareq Helbishy, rencontré sur le chemin, est calme, très calme: «On fait payer Port-Saïd pour acheter la paix ailleurs. Nous avons beaucoup de richesses, ici, avec la mer, le pétrole et le canal de Suez. On préfère être indépendants plutôt qu'obéir à ce gouvernement. Après les funérailles, on va brûler les commissariats et les sièges des Frères musulmans. Ils comprendront notre colère.»
Tareq Helbishy n'aura même pas à attendre la fin de la cérémonie. Le cortège s'approche du Club des forces armées, une résidence luxueuse réservée aux officiers, à proximité du Club de la police. Qui a tiré en premier? Qui a provoqué? Selon la plupart des témoins, des tireurs postés sur les toits alentour font feu en l'air. Le cortège panique, des cercueils se renversent. Dans la foule, certains répliquent. En réponse, des gaz lacrymogène sont lancés. Le cortège endeuillé se transforme en foule furieuse. Ils ont attaqué des funérailles: une véritable trahison. Les hélicoptères bourdonnent au-dessus du rassemblement. Échanges de coups de feu. Une fumée s'élève dans le ciel. Des émeutiers tentent de brûler le Club de la police. Port-Saïd vient de commencer sa deuxième journée de violence.
La veille, samedi, l'annonce du verdict dans le procès du drame de Port-Saïd a réjoui les Ultras Ahlawy, ces supporteurs radicaux de al-Ahly, la première équipe d'Égypte. Il y a un an, les Ultras ont été les principales victimes de cette tragédie, quand des affrontements après un match de football ont provoqué la mort de 74 personnes. Les supporteurs de Port-Saïd se sont jetés sur les spectateurs de l'équipe adverse. Pour la plupart des Égyptiens, il s'agissait de punir les Ultras Ahlawy, fer de lance des combats contre les forces de l'ordre pendant la révolution.
La prison prise d'assautUne partie des accusés a été jugée. Résultat: 21 condamnations à la peine capitale. La plupart, des jeunes de Port-Saïd. Les 54 autres ont vu leur procès reporté. Notamment les officiels et les policiers à qui les Égyptiens reprochent d'avoir laissé faire le massacre - voire, de l'avoir encouragé: les portes du stade ont été fermées, les lumières éteintes.
Les Port-Saïdis, quand ils entendent le verdict, laissent éclater une colère longtemps retenue. De nombreuses personnes s'étaient rassemblées près de la prison de la ville. Les affrontements commencent dès l'annonce du jugement. Là encore, difficile de savoir qui a tiré le premier. Pour Karim Hamed, un supporteur de l'équipe locale, c'est non seulement la police, mais aussi des tireurs non identifiés postés sur les toits aux alentours de la prison. «Puis, ils ont lancé des gaz lacrymogènes. On ne pouvait pas laisser faire. On a essayé de se battre. Très vite, des gens de notre côté sont venus avec des armes. Je n'approuve pas, on s'est fait dépasser, mais depuis un an, personne ne nous écoute. L'Égypte fait de Port-Saïd un bouc émissaire», continue Karim, fier de porter le maillot des supporteurs locaux. Durant une longue journée, quand Port-Saïd n'est pas une ville fantôme, elle est en guerre urbaine. «Ce n'est pas étonnant. Des émeutiers ont essayé de s'emparer de la prison pour libérer les prisonniers», dit le directeur de l'hôpital général de la ville, Mohsen Mahfouz. Il hausse les épaules.
Le bilan de la journée de samedi est l'un des pires depuis la chute de Hosni Moubarak: 33 personnes ont perdu la vie à Port-Saïd - dont deux policiers. Dimanche, des sources médicales évoquent sept morts. Le drame de Port-Saïd continue de faire des victimes. Dans la soirée, le président égyptien Mohamed Morsi a décrété l'état d'urgence pour trente jours dans cette province, ainsi que dans deux autres, Suez et Ismaïliya. Cette mesure sera accompagnée d'un couvre-feu nocturne de 21 heures à 6 heures locales (20 heures à cinq heures en France). Mohamed Morsi a aussi menacé de prendre «d'autres mesures exceptionnelles» si les émeutes reprennent et a appelé les dirigeants de l'opposition à un dialogue national lundi.