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DEMANDE PAR BAMAKO D'UNE INTERVENTION MILITAIRE : Divergence entre Washington et Paris
Par Ikram GHIOUA - Samedi 12 Janvier 2013 -
Le président malien par intérim Dioncounda Traoré
Tournant le dos aux efforts de l'Algérie pour une sortie de crise, le président malien souhaite l'aide militaire de la France.
En sollicitant l'aide de la France, le gouvernement de transition malien dévoile la couleurs de ses cartes et, au moment où l'Algérie réussit à convaincre du bien-fondé et de la pertinence de l'approche par le dialogue, l'ONU demande un déploiement rapide de la force internationale.
Ces développements qui interviennent sans surprise comme l'avaient pressenti des sources très au fait de la crise au Mali, s'annoncent avec la visite demain du Premier ministre malien Diango Cissiko à Alger. Que peut apporter ce déplacement de plus à la crise malienne? La France, qui doit rendre sa réponse à Bamako, va-t-elle s'aventurer en s'engageant dans une crise au-delà de ses frontières? Quel impact aura son intervention sur le déroulement des négociations en cours, notamment après l'accord du Mnla et Ansar Eddine pour arrêter les hostilités? Des sources rapportent que lors de sa visite, le Premier ministre sera accompagné des ministres de la Défense, de l'Administration territoriale et de l'Aménagement du territoire, de l'Equipement et des Transports et de hauts responsables civils et militaires. Cette visite devrait porter sur «un échange de vues approfondi sur la situation au Nord Mali et les efforts en cours pour un règlement de la crise multidimensionnelle qui affecte ce pays».
De même, cette visite permettra à «Alger et Bamako de mener des discussions relatives au renforcement de la coopération entre les pays du champ, Algérie, Mali, Niger et Mauritanie et les partenaires extrarégionaux, pour éradiquer le terrorisme et le crime organisé qui constituent une menace pour la stabilité et la sécurité dans la région du Sahel».
Cette menace, qui semble prendre de l'ampleur, notamment sur le plan humanitaire, a suscité l'inquiétude du Conseil de sécurité de l'ONU qui appelle à «un déploiement rapide de la force internationale au Mali devant la grave détérioration de la situation sur le terrain».
Depuis plusieurs mois que le Mali fait face à une triple crise, ce n'est que maintenant que le président malien par intérim Dioncounda Traoré, se rend compte de la gravité de la situation. Tournant le dos aux efforts de l'Algérie pour une sortie de crise sans le recours à la force qui ne peut qu'accentuer les risques, le président malien souhaite l'aide militaire de la France pour repousser une offensive des groupes armés terroristes que sont Al Qaîda au Maghreb islamique et le Mujao.
Une demande qu'il exprimera officiellement dans deux lettres adressées aux autorités françaises et au secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon. Pour justifier cette demande, le président malien s'est adressé hier à la nation.
Maintenant que les dès sont jetés, le Conseil de sécurité intervient pour tenter de dissuader les terroristes d'avancer vers le Sud, en direction de la capitale Bamako, une région relativement épargnée, mais où la menace risque de toucher les intérêts de la France. L'ingrédient qui manquait à ce pays pour prétexter un rôle dans la crise. D'ailleurs, les prémices d'une réponse positive à la demande de Bamako se dessinent à l'horizon, notamment avec les déclarations faites, Gérard Araud, le représentant français à l'ONU, qui souligne que «la France est l'amie du Mali et se tient aux côtés de son peuple et de ses autorités, en particulier dans les circonstances actuelles», qualifiant cette offensive des groupes islamistes «d'attaque terroriste». Il ajoute: «Si ce message n'est pas entendu, le Conseil pourrait se réunir de nouveau ce week-end pour réagir plus fermement.
La survie du gouvernement malien et la protection des civils sont désormais en jeu, il est donc urgent d'agir contre cette menace.» Ce représentant qui cherche à argumenter d'avance les intentions de la France, souligne: «La percée des islamistes, qui ont pris jeudi la localité de Konna, peut être interprétée comme: soit une démonstration de force dans le cadre de la négociation politique, soit une décision d'avancer vers le Sud avant l'arrivée de la force africaine.»
Néanmoins l'interprétation de la lettre adressée à l'ONU par le président malien diverge entre Washington et Paris. En effet, Susan Rice la représentante des USA à l'ONU, prétend une autre lecture en indiquant que «Bamako avait demandé un soutien extérieur, en particulier de la part de la France». Elle soutient: «Il y a eu au sein du Conseil un consensus clair sur la gravité de la situation et le droit des autorités maliennes de rechercher toute l'assistance possible. Un des sujets évoqués a été la volonté et la capacité des Maliens de défendre leur propre pays.»
Des déclarations qui n'ont pas laissé le diplomate français indifférent qui insiste: «Ce qui s'est passé à Konna montre qu'il est plus que jamais nécessaire de reconstruire, de reconstituer une armée malienne.
Des instructeurs européens doivent se rendre prochainement à Bamako pour commencer à entraîner et équiper les forces gouvernementales maliennes.»
Le contenu de la lettre du président malien devient un critère de divergence entre les deux pays. Cependant, pour l'envoyé spécial de l'ONU pour le Sahel, Romano Prodi, présent à Bamako, «si l'offensive des terroristes se poursuit encore, je pense qu'il y aura des décisions extraordinaires du côté de la communauté internationale», en précisant que sa présence à Bamako n'était toutefois pas liée aux derniers développements sur le terrain au Mali. Il a également réitéré le soutien de l'ONU au peuple malien et à ses autorités en cette période difficile que traverse le Mali. Tout en rappelant les dispositions d'une résolution du Conseil de sécurité, demandant à «instaurer un dialogue politique inclusif, à définir une feuille de route pour la transition et à rétablir l'ordre constitutionnel et l'unité nationale du Mali».
A rappeler que les groupes armés qui contrôlent le nord du Mali ont pris jeudi la localité de Konna située au centre du pays, après de violents affrontements avec l'armée malienne, mais aucun bilan n'a été établi dans ce sens.
Ces évènements ont contraint le Conseil de sécurité de l'ONU à se réunir en urgence à huis clos, pour discuter de la situation au Mali, à la demande de la France. Désormais, tout porte à croire que «les événements ne faisaient que renforcer la pertinence et l'urgence d'agir».
A ce sujet, la chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, indique que «la planification de la mission européenne de formation de l'armée malienne se poursuivait exactement comme prévu». L'on s'attend dans les jours à venir à une intervention militaire étrangère hâtive qui mènera l'Algérie à fermer définitivement ses frontières.