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La colère de Tahrir aux marches du palais
Mis à jour le 11/12/2012 à 19:43 | publié le 11/12/2012 à 19:36
Déploiement de force devant le palais présidentiel, mardi, au Caire.
Les opposants au projet de Constitution conçu par les islamistes défient la présidence égyptienne.L'armée a fermé tous les accès au palais présidentiel d'Héliopolis en prévision de la manifestation de l'opposition. Les grandes avenues arborées de cette banlieue huppée du Caire sont barrées par des murs de conteneurs soudés les uns aux autres, ou des remparts de blocs de ciment reliés par des tenons de fer. Tout le quartier est transformé en camp retranché. À l'intérieur du périmètre, des centaines de policiers et de soldats avec leurs blindés montent la garde ou cassent la croûte sur les pelouses. Pas question de laisser la foule s'approcher du palais.
Mais rien ne se déroule comme prévu. Les manifestants arrivent en fin d'après-midi et commencent à taper en cadence sur les conteneurs. Ils chantent: «Morsi, va-t'en, et ferme la porte derrière toi!», et le fameux slogan qui avait fait tomber Moubarak en 2011: «Le peuple veut la chute du régime!» Quelques-uns apportent un palan et une chaîne et font tomber en deux ou trois coups de manivelle une double grille qui fermait un coin du rempart. Les fortifications n'ont pas tenu plus de dix minutes. L'armée se replie au pas cadencé. Les manifestants déferlent devant les murs du palais avec pancartes, drapeaux, accompagnés des vendeurs de maïs et des marchands de café. Une fois à l'intérieur, les jeunes au palan s'attaquent au grand mur et font tomber les blocs de béton les uns après les autres.
À la nuit tombée, d'un côté des rails du tramway, les soldats de la Garde républicaine, alignés sur un rang, l'air un peu gênés sous leurs casques. De l'autre, les manifestants avec des drapeaux et des tambours.
«Les gens sont mécontents pour des raisons variées»L'ambiance rappelle celle de la place Tahrir en 2011. La scène s'est déplacée sur les pelouses du palais d'Héliopolis, grosse folie orientaliste qui fut l'un des palaces les plus extravagants des années 1920, avant de devenir une résidence présidentielle et, depuis quelques jours, le siège symbolique du pouvoir des Frères musulmans en Égypte. Mais la foule compose le même rassemblement hétéroclite de toutes les catégories de la société égyptienne: jeunes révolutionnaires en baskets et keffiehs, pauvres gens aux pieds calleux dans leurs sandales, vêtus de la galabiya traditionnelle, parents avec leurs enfants sur les épaules, filles voilées et dames en serre-tête, jeunes et vieux, chrétiens et musulmans.
«Tout le monde ici a en commun le refus de la Constitution», lance Hadi, un des activistes de la place Tahrir. «Mais c'est surtout un point de ralliement: les gens sont mécontents pour des raisons variées. La Constitution est le catalyseur de cette colère. Nous n'avons aucun plan, mais eux non plus», dit-il en montrant les soldats.
Ce texte mal ficelé, écrit par une Assemblée d'où sont partis en cours de route les députés chrétiens et libéraux, truffé d'ambiguïtés et de non-dits, a jeté une nouvelle fois les révolutionnaires égyptiens dans la rue. Ils dénoncent le projet comme autant de possibilités pour les Frères musulmans d'imposer une islamisation de la société et d'asseoir leur propre domination politique.
«L'Égypte deviendra comme l'Iran»«La Constitution est un texte commun à tous les Égyptiens, pas celui d'un seul groupe», plaide Mohammed Ihab. Ce jeune homme a été blessé pendant les heurts de mercredi dernier entre les militants de l'opposition et les partisans des Frères. Il a pris un plomb dans la jambe, s'est brûlé la main en contrant un cocktail Molotov et a reçu du gaz lacrymogène dans l'œil.
Pour illustrer le lien direct que les manifestants voient entre la place Tahrir et le palais d'Héliopolis, un musée aux murs de papier a été monté sur une pelouse. Plein de photos des divers épisodes qui, depuis la chute de Moubarak, ont opposé la rue et la junte militaire qui lui a succédé, avant l'élection des Frères musulmans au Parlement et à la présidence. «Je ne veux pas le départ de Morsi, ni le chaos, dit Mme Nihal Amin. J'étais à Tahrir en janvier 2011 et je suis revenue pour les mêmes raisons». Cette élégante bourgeoise musulmane de Zamalek est habillée comme pour faire son marché place d'Auteuil. Son groupe d'amies comporte une chrétienne. «Les islamistes ont gagné les élections et Morsi a été élu avec 51 % des voix. Mais cela ne leur donne pas le droit de s'arroger tous les pouvoirs. Ni à lui de devenir un dictateur. Si cette Constitution passe, l'Égypte deviendra comme l'Iran. On veut empêcher ces extrémistes de nous voler notre pays.»