WEB - GOOGLE - ACTUALITÉ > International
Tunisie : le double langage de Ghannouchi
Mis à jour le 12/10/2012 à 09:51 | publié le 11/10/2012 à 19:58
Une vidéo diffusée mardi sur Internet de Rached Ghannouchi rencontrant des leaders d'opinion islamistes a provoqué un tollé dans l'opposition.
Le chef d'Ennahda encourage les salafistes au détriment des laïcs.Les interviews qu'il donnera aux médias étrangers ne pourront plus désormais être les mêmes. Rached Ghannouchi, leader du parti majoritaire au pouvoir en Tunisie, Ennahda, se voulait à chaque fois rassurant sur l'islam prôné par son mouvement. Mais hier et mardi, deux vidéos vraisemblablement filmées par des téléphones portables ont fait tomber les masques, révélant ce que beaucoup savaient ou craignaient déjà. Ainsi, celui que l'on appelle ici le «Cheikh» n'y cache pas ses aspirations à voir une Tunisie islamisée. «Nous sommes passés en un an de sous-terre au pouvoir, dit-il à l'un de ses interlocuteurs dans la première des deux vidéos. Nous devons compléter ce capital en envahissant le pays avec des associations, des écoles (coraniques, NDLR). Partout! Il faut que les gens connaissent mieux leur religion.»
Sur l'image, deux interlocuteurs, mais le visage d'un seul apparaît. Une longue barbe, on devine qu'il s'agit d'un salafiste, ce que confirme un dirigeant d'Ennahda. «Maintenant on n'a pas une mosquée, on a le ministère des Affaires religieuses! poursuit Ghannouchi. On n'a pas une boutique, on a l'État! Donc, il faut attendre, ça n'est qu'une question de temps. Aujourd'hui vous, les frères salafistes, vous avez le contrôle des mosquées. Celui qui veut créer une radio, une télé, une école (coranique) qu'il le fasse! Mais pourquoi êtes-vous pressés? Il faut être patient.»
Sur la seconde des captations, c'est une conversation téléphonique avec le cheikh Béchir Ben Hassen, leader salafiste, qui est enregistrée et dans laquelle Rached Ghannouchi se veut rassurant sur l'instauration future de la charia en Tunisie.
Contacté par Le Figaro, Abdelhamid Jelassi, numéro 2 d'Ennahda, confirme, évoquant la première des vidéos, qu'une «rencontre a eu lieu, en mars ou avril, avec la jeunesse salafiste. C'était pour discuter de la place de la charia au sein de la Constitution. Le but était de convaincre les jeunes salafistes d'intégrer la société civile. En renonçant à l'extrémisme et à la violence.» Mais Jelassi dénonce par ailleurs une vidéo trafiquée.
ManipulationC'est vrai que la voix et l'image ne sont pas synchronisées et que des coupes réduisent l'enregistrement à 8'. L'hypothèse d'une vengeance de la part des salafistes? Jelassi la rejette immédiatement. Après l'attaque de l'ambassade américaine à Tunis, le 14 septembre dernier, Rached Ghannouchi avait dû se montrer ferme à l'encontre de ceux qu'il considérait jusque-là comme ses «enfants».
La manipulation semble donc privilégiée au sein du mouvement. Mossab Ben Amar, membre des jeunesses nahdaouis, s'étonnait hier du timing de l'apparition de la première vidéo alors qu'elle est, assure-t-il, en ligne depuis au moins six mois. «Ça n'est pas très surprenant de la voir ressurgir aujourd'hui à deux semaines du 23 octobre (date de la fin prévue de la légitimité de l'Assemblée nationale constituante qui n'aura pas livré la Constitution à temps, NDLR). Ceux qui sont derrière cela sont ceux qui veulent voir l'ANC et le gouvernement dissous, notamment l'Appel de Tunis.»
L'opposition a qualifié mercredi de «très grave» le contenu de la vidéo illustrant «le double discours d'Ennahda». L'ex-premier ministre Béji Caid Essebssi s'est dit ne pas être étonné par une telle vidéo. «On connaissait déjà le fond de la pensée de Rached Ghannouchi.» Pour le parti Ettakatol, démocrate et allié d'Ennahda à la tête du pouvoir, les propos de Ghannouchi sont «dangereux». «C'est un choc», a déclaré son porte-parole, Mohammed Bennour.