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Robert Sabatier, la nostalgie de Montmartre
Mis à jour le 28/06/2012 à 16:05 | publié le 28/06/2012 à 15:36
Robert Sabatier en 2001, à Paris.
Poète lui-même et auteur des Allumettes suédoises, romancier à succès, chantre infatigable de la Butte, doyen de l'Académie Goncourt, il vient de s'éteindre à l'âge de 88 ans.Il le disait, avec un fond d'amertume: «Je suis pour toujours l'auteur des
Allumettes suédoises. C'est difficile d'apparaître autrement, alors que j'ai toujours refusé d'être étiqueté.» Mais comment échapper à un pareil succès, sans doute les ventes les plus importantes de la littérature française d'après guerre, avec
Vipère au poing, d'Hervé Bazin,
Les Carnets du major Thompson, de Pierre Daninos, et
Bonjour tristesse, de Françoise Sagan.
Paru en 1969, ce phénoménal best-seller, traduit dans le monde entier, suivi de
Trois sucettes à la menthe, en 1972, et des
Noisettes sauvages, en 1974, qui confortèrent l'immense popularité du romancier, allait transformer la vie de Robert Sabatier. Il devint du jour au lendemain une vedette des médias et de l'actualité
people, la pipe au bec, bon compagnon, joyeux convive, farceur, racontant des gauloiseries. En fait, une façon de cacher ses angoisses profondes.
En 1958, avec la publication de son cinquième roman
Canard au sang, il avait bien failli se retrouver sous les feux de l'actualité. Cette année-là, il ratera de peu le prix Goncourt. C'est la voix de son ami Bazin qui lui fit défaut. Ce dernier lui dira après le scrutin:
«Comme je n'ai pas eu le prix, il n'y avait aucune raison que tu l'aies! Mais j'aimerais bien que tu me rejoignes un jour à l'académie Goncourt.» Ce sera chose faite en 1971. Il succède à André Billy, fidèle complice de Dorgelès, Carco, Mac Orlan, des figures de Montmartre où Robert Sabatier avait vu le jour le 17 août 1923.
Un enfant solitaire Son enfance sur la Butte, sa vie de poulbot et d'orphelin, l'entrée dans le monde du travail à l'âge de 13 ans sont autant d'épisodes qu'il évoquera à travers sa saga autobiographique. En dehors des célèbres
Allumettes suédoises, d'autres volumes prendront pour décor ce Montmartre natal, avec le personnage d'Olivier, son double romanesque qu'on retrouve dans
David et Olivier, publié en 1986, puis dans
Olivier et ses amis, paru en 1993, et
Olivier 1940, sorti en 2003.
Cette nostalgie d'un passé qu'un téléfilm de Jacques Ertaud a fort justement reconstitué, Robert Sabatier l'avait teintée d'une pointe de tristesse, car la mort prématurée de ses parents, disparus chacun un 1er mai, à quatre ans d'intervalle, fit de lui un enfant solitaire, enfermé très tôt dans des rêves de bonheur.
«J'ai assisté au tournage de la série d'Ertaud, me dira-t-il.
Lorsque j'ai vu l'actrice qui jouait ma mère, au cours de la scène de l'enterrement, l'émotion a été si forte que je me suis évanoui.» Robert Sabatier avait 12 ans quand Marie, sa jeune maman, fut foudroyée par une crise cardiaque alors qu'il dormait à ses côtés. Adopté par son oncle et sa tante, il doit quitter Montmartre pour le canal Saint-Martin, quartier qu'il évoquera dans
Trois sucettes à la menthe. Tout en poursuivant ses études, il est employé dans l'atelier typographique de son oncle et tuteur. Au moment des vacances, le garçon qui a commencé d'écrire des poèmes, rejoint ses grands-parents à Saugues (Haute-Loire). Ces temps heureux d'une Au­vergne paisible et rurale, vont nourrir la veine écologique de son roman
Les Noisettes sauvages.
En 1939, il imprime lui-même ses poèmes sur des chutes de papier… Quelques mois plus tard, les poèmes seront remplacés par des tracts contre l'occupant. Le jeune Robert va bientôt s'intégrer à un maquis local et participera à la libération du Puy. À la fin de la ­guerre, c'est la démobilisation et une nouvelle existence marquée par un mariage raté avec la fille d'un industriel de Roanne. La poésie, bien sûr, est au centre de ses activités : il crée, en 1947, une revue, La Cassette, au sommaire de laquelle figureront Paul Eluard, Alain Borne, René-Guy Cadou, Frédéric-Jacques Temple, Maurice Fombeure et bien d'autres poètes qui se révéleront plus tard, comme Hervé Bazin.
Le meilleur de lui-même Le retour à Paris aura lieu en 1950. Robert Sabatier trouve un job aux Presses universitaires de France, où il sera un employé modèle pendant quinze ans, tout en fréquentant assidûment les cercles poétiques de la Rive gauche. Ses conversations avec Gaston Bachelard, qu'il voit chaque semaine, vont alimenter son imaginaire poétique. Il rend régulièrement visite à un autre grand aîné, Jules Supervielle, en compagnie de deux amis, Alain Bosquet et Charles Le Quintrec.
En 1969, Robert Sabatier obtiendra le grand prix de poésie de l'Académie française pour l'ensemble de son œuvre. Cela ne fait aucun doute: la poésie aura été la grande passion de sa vie. C'est en découvrant pendant l'Occupation, après avoir interrogé un libraire, qu'une histoire de la poésie française n'existait pas qu'il se promit d'en écrire une. Il fallut le succès de ses romans pour qu'il ose proposer à son éditeur Albin Michel (dont il fut le directeur littéraire jusqu'à son élection à l'académie Goncourt) ce projet qui lui tenait à cœur depuis si longtemps.
Les Allumettes suédoises, plébiscité par le public et boudé par la critique, lui aura permis de se lancer dans cette aventure qui est certainement son chef-d'œuvre: neuf volumes qui représentent un travail d'analyse considérable, avec pour principe essentiel la bienveillance. Robert Sabatier y a donné le meilleur de lui-même tout en continuant à publier des romans, dont un ambitieux et volumineux récit philosophique,
Les Années secrètes de la vie d'un homme, et un étonnant
Diogène en vers décasyllabiques.
Le poète lyrique et le romancier populaire ont ainsi cohabité, tout comme l'homme de plaisirs et le personnage plus discret habité par ses inquiétudes métaphysiques. Peut-être se sont-ils tous retrouvés dans ce
Dictionnaire de la mort que Robert Sabatier publia, en 1967, avec des illustrations de sa seconde femme, la peintre Christiane Lesparre, également écrivain.
«C'est au seuil et autour de la mort, souligne-t-il dans la préface,
que se manifestent le mieux le singulier, l'incroyable, le fantastique, le merveilleux, mais aussi la pensée religieuse et la pensée tout court: c'est le lieu où l'homme trouve sa vérité.»Il terminait sa présentation par une citation de Boris Pasternak :
«La mort n'est pas notre affaire.»