CINQUANTENAIRE DE L'INDÉPENDANCE :
Un non-événement ?
Mardi 12 Juin 2012
Par N. KRIM
Maqam echahid, symbole de l'Algérie indépendante
À moins d'un mois de la célébration du Cinquantenaire de l'Indépendance nationale, l'Algérie ne semble avoir rien conçu ou prévu pour accueillir cet insigne événement.
Un événement épopée, si l'on excipe du fait que la Guerre d'Algérie - qui venait en ce jour de juillet 1962 de prendre fin - a fait école dans ce que l'on appelait encore le «tiers-monde».
Aussi, la célébration d'une telle épopée se prépare-t-elle des mois - quand ce n'est pas des années - à l'avance non pas seulement au point de vue des festivités - mais où sont donc passés les défilés militaires d'antan? - mais sans doute, surtout, au plan du discours, de l'analyse et de l'explication d'une Révolution édifiante prise en exemple par tous les peuples alors soumis au joug du régime colonial. Peut-on, en effet, célébrer ce cinquantenaire de l'Indépendance, sans revenir sur la période charnière que constitua 1954-1962, afin d'expliquer et d'expliciter à la jeune génération ce qu'avait été la colonisation, le joug colonial et la privation de liberté?
Or, l'indépendance, c'est d'abord la victoire, outre la concrétisation des objectifs de la Révolution, d'hommes - ils sont des dizaines de milliers à être tombés au champ d'honneur - qui ont cru à ce postulat inimaginable au sortir de la Seconde Guerre mondiale: battre (militairement, politiquement) la quatrième puissance militaire dans le monde de l'époque: la France! Aussi, à moins d'un mois (exactement 25 jours) du Cinquantenaire de l'Indépendance, combien de livres, de films, de pièces de théâtre, de tableaux picturaux, d'expositions photos, de conférences et de débats sont prévus ou ont été réalisés, pour dire, montrer et expliquer ce qu'a été la Révolution qui a, outre d'avoir changé l'Algérie, imposé dans la nomenclature universelle le thème de la décolonisation?
Or, où sont les études historiques, sociologiques, politiques, les conférences et les débats censés consacrer cet événement, d'une part, raviver les mémoires sur une période cruciale du vécu des Algériens, d'autre part.
On pouvait s'attendre à ce que soit publié pour cet événement majeur de l'Histoire de l'Algérie dix, cent, mille livres, films et pièces de théâtre pour dire et expliquer la Révolution, parler des hommes qui l'ont initiée, s'attarder sur les parcours contrastés des uns, l'engagement des autres, évoquer la grandeur d'âme des uns, les trahisons des autres. En effet, l'Histoire d'un pays est faite d'événements glorieux et de trahisons ignominieuses, tant il est vrai que même le traître y a sa place. Or, à quelques semaines de ce rendez-vous historique, le programme des festivités du Cinquantenaire n'est toujours pas connu, comme s'il s'agissait d'un secret d'Etat, alors qu'il concerne la Nation et tous les Algériens. Notons à ce propos que la Magnum Gallery, qui proposait l'exposition à Alger dans le cadre des célébrations du Cinquantenaire, des oeuvres de trois de ses photographes (Kryn Taconis, Nicolas Tikhomiroff et Marc Riboud), prises entre 1957 et 1962, n'a pas trouvé d'échos auprès des autorités concernées.
Une anecdote dans ce qui semble devoir être un «non-événement», le Cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie. Or, l'Algérie aurait dû être en fête durant toute une année avec démarrage des festivités du cinquantenaire le 1er janvier 2012. Nous constatons a contrario un pays morose, des dirigeants muets sur les implications et effets qu'a eu l'Indépendance sur l'Algérie.
Pourtant, l'Algérie de juillet 2012 n'est plus l'Algérie de juillet 1962. Quel mémorial a-t-on édifié en souvenir de la Révolution et des hommes qui l'ont conduite? Des martyrs de la Révolution, des hommes qui ont survécu et ont joué un rôle dans cette Révolution, qui sont-ils? Quel a été leur destin avant la Révolution, après l'Indépendance? En vérité, beaucoup de questions, peu de réponses sur des faits qui intéressaient au premier chef les Algériens et singulièrement la génération post-Indépendance tenue dans l'ignorance de ces pages glorieuses de l'Histoire de l'Algérie écrite avec le sang des Martyrs de la Révolution. C'est cela le paradoxe, et pas des moindres, d'un pays capable de révolutionner les perceptions que le monde se faisait du fait colonial, mais incapable dans le même temps de témoigner des faits de notre Histoire récente, laissant ainsi dans l'oubli des pans entiers de la mémoire nationale collective. Les pages du livre de l'Histoire de la Révolution de Novembre sont demeurées blanches. Ce sont là des pages qui demandaient à être remplies, car, souvent, est mise en avant l'histoire séculaire de ce pays, mais où sont les textes, les témoignages qui disent cette histoire, qui racontent une nation et les hommes qui l'ont construite, qui ont façonné cette spécificité algérienne à nulle autre pareille.
Nonobstant donc ce moment ponctuel si caractéristique du Cinquantenaire de l'Indépendance, reste toutefois pendant le problème de l'écriture de notre Histoire passée et récente, singulièrement celle du Mouvement national que l'on a toujours pas fait entrer dans le panthéon de l'Histoire nationale, 50 ans après la fin de la guerre de Libération. Le Cinquantenaire de l'Indépendance était pourtant cette période propice pour remettre en mémoire l'historicité de l'Algérie et le parcours séculaire de ses femmes et ses hommes. Cela n'a pas été fait. Pourquoi, le Cinquantenaire est-il évacué et réduit au fait anodin d'un jour férié? Pourquoi?