Entre Nicolas Sarkozy et les gendarmes, une succession de malentendus
LEMONDE | 13.02.12 | 10h52 • Mis à jour le 13.02.12 | 12h58
Nicolas Sarkozy devait mener une opération de reconquête, lundi 13 février, auprès des gendarmes. Le président de la République doit inaugurer le siège flambant neuf de la direction générale de la gendarmerie nationale, à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine). Et s'adresser à un corps devenu méfiant.
L'histoire est mal partie dès mai 2007 et l'annonce de l'éviction des gendarmes du groupe de sécurité de la présidence de la République. Elle s'est poursuivie par le rattachement de la gendarmerie au ministère de l'intérieur, en 2009, et par une série de signes jugés négatifs. Le 15 septembre 2011, le président embarque avec lui des CRS plutôt que des gendarmes pour assurer sa sécurité à Benghazi, en Libye. Le 3 janvier, le président ne cite pas la gendarmerie lors de ses vœux aux armées dans le Finistère.
Ce dernier oubli a touché à un point très sensible: les 95000 gendarmes ne seraient-ils plus des militaires? "Dans les brigades, tout le monde en a parlé, raconte un gendarme de l'est de la France. On s'est posé des questions. On s'est dit: “Il va faire comme en Belgique”." La Belgique a dissous sa gendarmerie en 2001.
"TOUT EST APPRÉHENDÉ PAR LA CULTURE DU CHIFFRE"
Le malaise des gendarmes n'est certes pas une nouveauté – leur première grogne date de 1991. Des efforts financiers ont été consentis pour rénover les casernes et équiper techniquement les brigades face à l'accroissement de leurs tâches, notamment de police judiciaire. "Tout est fait pour que les gendarmes puissent faire leur travail", assure le général Jean-Philippe Ster, patron de la communication à la DGGN. "On a eu les moyens", reconnaît un gendarme.
Un système avantageux de primes et d'avancement a également apaisé les tensions. "Les jeunes qui rentrent aujourd'hui sont pieds et poings liés par le système. Nous sommes très peu à prendre position", explique un gradé d'une brigade territoriale du Sud-Ouest. "Ils ont divisé pour mieux régner", regrette un autre. "Il y a eu une multiplication des postes d'encadrement, au détriment du fonctionnement quotidien des services", dénonce le sénateur François Rebsamen, chargé du pôle "sécurité" auprès du candidat PS à la présidentielle, François Hollande.
Les effectifs en baisse de la gendarmerie.Infographie Le Monde
La grogne des gendarmes – contraints au devoir de réserve – trouve son exutoire sur Internet, dans des forums où l'on parle du quotidien et des conditions matérielles, et de cette nouveauté de l'ère Sarkozy, de plus en plus mal vécue: la culture du résultat.
"Tout est aujourd'hui appréhendé par la culture du chiffre. Or, les indicateurs ne permettent pas de traiter la plénitude de l'action de la gendarmerie", explique le général Bertrand Cavallier, dont la retraite a fait beaucoup de bruit, à l'automne 2011. Dans son discours de départ, cet officier respecté défendait une hiérarchie "décomplexée de tous atermoiements" et l'"immersion dans la population".
La perte de la proximité avec la population est l'autre grief récurrent. La création des communautés de brigades, en 2002, devait permettre de mutualiser les moyens. Associée à la baisse des effectifs, elle a profondément changé la nature du travail des gendarmes. "On ne fait plus de renseignement comme avant, déplore un gendarme en zone rurale. On ne peut plus anticiper les manifestations de paysans, par exemple. Cela manque aux préfets, alors on nous demande de retourner dans la ruralité. Mais on n'y arrive pas, on n'a plus le temps."
Le succès du discours du général Cavallier n'a pas échappé à la haute hiérarchie. Le directeur général de la gendarmerie, Jacques Mignaux, l'a en partie fait sien dans un long entretien au magazine indépendant L'Essor de la gendarmerie de février. Le général se prononce pour une pause dans le processus de rapprochement avec les policiers et réaffirme le statut militaire de ses troupes.
"LA BASE POURRAIT SE TOURNER VERS LE FN"
Cela suffira-t-il à regagner les cœurs? "En 2007, il y a eu un vote massif pour Nicolas Sarkozy, estime un officier. Mais il a perdu ce soutien en quelques mois. Aujourd'hui, la hiérarchie est très portée vers l'alternance." Un constat partagé par un responsable socialiste: "Il y a une déception chez les officiers supérieurs, qui pourraient voter pour nous. Par contre, la base pourrait se tourner vers le FN." Un vieux fantasme, souvent entretenu par l'extrême droite elle-même – l'hebdomadaire Minute en avait fait sa "une" à l'été 2011.
Il n'existe pas d'indicateur qui permette d'étayer ce phénomène. Les enquêtes du Cevipof sur le vote des fonctionnaires (en PDF) mêlent dans une même catégorie les policiers et l'ensemble des militaires. La dernière vague, réalisée en janvier2012, est sans appel; Marine Le Pen récolterait 37% de suffrages, Nicolas Sarkozy, 21%, François Hollande, 17%, et François Bayrou, 11%. "Cela dépend des régions, juge le même officier. Dans certaines zones périurbaines, le vote FN peut être plus affirmé. De jeunes gendarmes sont confrontés à un travail plus dur et plus complexe."
Pour conquérir cet électorat, qui garde une influence importante en zone rurale, l'équipe du candidat Hollande défend une pause dans les réformes. "Il va falloir éviter les mutualisations forcées avec les policiers, estime François Rebsamen. On peut réfléchir à des décloisonnements. La direction centrale du renseignement intérieur pourrait ouvrir ses portes aux gendarmes." Une manière de revaloriser ce corps.
En face, Nicolas Sarkozy aura fort à faire pour convaincre. Il a peut-être déjà commis une nouvelle erreur en choisissant le nouveau siège de la direction générale. Le bâtiment, avec ses salles de sport, son stand de tir et sa crèche, fait jaser dans des brigades où la moindre ramette de papier est devenue un luxe…
Laurent Borredon
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Bonjour,
Sarkozy s'inquiète du vote des policiers et des militaires, traditionnellement électeurs de droite, voire du FN. Donc il s'agit là de les faire rentrer dans le "rang". Mais, attention hein! Il n'est pas en campagne.
Amicalement
Pierre