Le Monde.fr | 26.06.2014 à 19h48 | Par Béatrice Gurrey
L'avocate libyenne Salwa Bugaighis, figure de la révolution contre Mouammar Kadhafi, a été assassinée mercredi 25 juin.
« Tout le monde mérite une vie meilleure après ces quarante-deux années de dictature », disait Salwa Bugaighis, une des figures de la révolution libyenne contre le colonel Kadhafi, en 2011. Cette brillante juriste de 48 ans a été assassinée mercredi 25 juin vers 20 heures, à Benghazi, par une bande d'hommes armés et cagoulés qui ont fait irruption à son domicile. Son mari, Essam Gheriani, 54 ans, engagé à ses côtés et présent au moment de cet attentat, est porté disparu, probablement enlevé.
Selon le récit rapporté au Monde par Wahid Bugaighis, l'oncle de Salwa, celle-ci était revenue mercredi de Jordanie, où son fils étudie à l'université d'Aman, pour participer aux élections législatives libyennes. Ses proches, ses amis, avaient en vain essayé de l'en dissuader car elle avait reçu des menaces de mort. Le nom de son fils figurait sur une liste de personnes susceptibles d'être enlevées. L'agression a eu lieu au retour du bureau de vote.
« Salwa était une femme très courageuse. Quand ils ont cerné la maison, elle est montée sur le toit en terrasse et elle a pris une photo avec son iPad. Essam essayait de parlementer et de les contenir », raconte-t-il d'une voix brisée. « Ils ont mis douze balles dans son corps. Ce sont des fascistes islamistes qui sévissent partout dans le Moyen-Orient. Nous combattons ici contre des forces qui sont incroyablement armées », dit cet homme de 77 ans. Transportée dans un état critique au centre médical de Benghazi, elle a succombé peu après à ses blessures. Selon un porte-parole de l'hôpital, cité par l'AFP, la militante des droits de l'homme a également été poignardée sur plusieurs parties du corps.
MILITANTE FÉMINISTE
Le jour de la révolution, le 17 février 2011, Salwa Bugaighis a été l'une des premières à manifester sur la grande place de Benghazi, bientôt rebaptisée place de la Liberté, en hommage à celle du Caire. L'avocate avait appelé son mari pour qu'il la rejoigne devant le palais de justice. Ce couple aisé, cultivé, était entré en résistance, et son engagement dans la révolution ne s'est jamais démenti. « Je suis prêt à consacrer le reste de ma vie au fait que personne ne confisque cette belle révolution. Et je suis sûr que la dictature ne reviendra pas », confiait Essam Gheriani au Monde en mai 2011.
Militante féministe, issue d'une famille de la grande bourgeoisie libyenne spoliée par le régime, Salwa Bugaighis a été l'une des premières et seules femmes membres du Conseil national de transition (CNT). Dans cet organe politique de la rébellion, très tôt reconnu par la France, elle apportait sa rigueur, son intelligence et un esprit d'ouverture. Pour Le Monde, elle avait ouvert son agenda à un jour ordinaire, prenant soin de ne rien révéler qui puisse compromettre une obligatoire discrétion : questions politiques sur le rôle de l'OTAN, point sur les pourparlers de Doha ou sur des échanges de prisonniers, et, surtout, débat budgétaire : comment financer des salaires, la nourriture, les soins, dans ce pays en guerre.
« Mon père, Kadhafi lui a tout pris : terres, meubles, argent. Il a payé pendant trente ans. Puis il est parti vivre aux Etats-Unis, à Seattle. Il vient de passer un PhD [doctorat] à 80 ans », racontait-elle alors en souriant. Rien n'obligeait cette belle femme, très chaleureuse, à tout risquer, jusqu'à sa vie. Récemment, elle n'a pas hésité, quitte à choquer, à prendre des positions très radicales contre le foulard, sur une chaîne de la télévision libyenne. Elle s'inquiétait surtout pour son fils de 20 ans qui voulait combattre.
« Que lui dire ? » Sa propre sœur, Iman, titulaire d'un doctorat passé en Grande-Bretagne, s'était engagée elle aussi dans la révolution, pilotant les journalistes, donnant son temps et ses contacts. Quelques mois avant la mort de Kadhafi, en octobre 2011, Salwa Bugaighis résumait déjà le sens de son engagement : « Il a essayé d'acheter les gens. Ça n'a pas marché. Les Libyens veulent la liberté, la justice et la dignité. »