Le Monde.fr | 25.02.2014 à 15h24 • Mis à jour le 25.02.2014 à 15h56
Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour réclamer un « démontage » de l’euro et donc un retour vers le franc. Les arguments tournent autour de l’absence de compétitivité de l’industrie française qui se trouverait laminée par l’euro fort, ils sont souvent assortis de discours antiallemands assez primaires. Ces discours ont déjà été entendus au sujet de l’hypothèse du « Grexit », la sortie de la Grèce de la zone Euro.
Un euro fort se traduit par une perte de compétitivité liée aux exportations hors de la zone euro. Les produits européens sont plus chers hors de la zone euro et les marchandises produites hors d’Europe sont moins coûteuses au sein de la zone euro. Il s’agit d’un manque à gagner pour l’industrie française qui peut impliquer des effets sur l’emploi.
EFFETS INDÉSIRABLES
Pour la France, les échanges internes à la zone euro ne sont pas affectés, or c’est là que se situent les principaux flux d’échange français hors énergie. Nos exportations industrielles sont en priorité intra-européennes. L’euro fort entraîne une diminution des prix des importations incompressibles ces produits qui ne sont pas produits en France, comme les matières premières. La facture pétrolière, par exemple, se trouve ainsi allégée. Elle constitue le premier poste du déficit de notre balance commerciale et elle augmenterait de façon sensible, dégradant d’autant plus le déficit commercial.
Les effets sur notre balance commerciale ne sont donc pas certains. Ce qui l’est en revanche c’est une cascade d’effets indésirables liés aux mouvements de capitaux.
Que se passerait-il en effet en cas de sortie de l’euro ?
Ce serait un scénario qualifié de « Frexit », une sortie de la France de la zone euro. Un retour vers une souveraineté monétaire et une monnaie nationale (le franc ?) garantie par une banque centrale autonome se traduirait par une dépréciation de cette nouvelle monnaie vis-à-vis de l’euro. C’est l’effet recherché mais quoi que l’on puisse entendre et lire, il n’est pas possible de prévoir la valeur exacte de cette nouvelle monnaie face à l’euro.
HAUSSE DES TAUX INTERBANCAIRES
En effet, avant même la souveraineté monétaire retrouvée se produiraient plusieurs effets. Tout d'abord, une fuite des capitaux devant la dépréciation attendue puisque les détenteurs de capitaux gagneront en plaçant leurs fonds à l’étranger, n’importe où dans la zone euro. Il en résultera un « bank run », des sorties massives de capitaux qui fragiliseront la santé des banques qui se trouveront à court de liquidités, une baisse des cours de la bourse puisque la bourse de Paris est détenue à plus de 70% par des capitaux étrangers qui eux aussi seront retirés en raison de la dépréciation escomptée.
Une hausse des taux interbancaires serait la conséquence logique de cette situation qui entraînerait une baisse de la consommation et de la production via un mécanisme que l’on appelle le « credit crunch » c’est-à-dire une diminution brutale des octrois de crédit aux particuliers et aux entreprises comme nous l’avons vécue entre 2008 et 2010.
Mais les effets les plus préoccupants concerneraient la dette publique française qui est aujourd’hui exprimée en euros et détenue en majorité par des capitaux étrangers. Une dépréciation aurait comme effet d’augmenter la dette libellée en Francs et d’engendrer une situation comparable à celle des pays latino-américains. Il en résulterait une augmentation du taux d’endettement de la France (poids de la dette rapportée au PIB) déjà située au-delà des critères de Maastricht qui se traduirait par une hausse des taux obligataires, le prix de la dette française, sur les marchés primaires et secondaires.
VULNÉRABILITÉ AUX ATTAQUES SPÉCULATIVES
La spéculation organisée autour des produits d’assurance contre les défauts de paiement ne ferait qu’amplifier ces mouvements. En d’autres termes le poids de la dette, déjà le second poste dans le budget de l’État français augmenterait et le refinancement de la dette serait de plus en plus coûteux ce qui impliquerait des mesures d’austérité sans aucune comparaison avec celles qui sont en cours de mise en œuvre par le gouvernement en place. Le problème des mesures d’austérité est qu’elles entraînent des coûts sociaux importants.
Le dernier point enfin concerne la vulnérabilité aux attaques spéculatives. La France isolée serait une puissance économique de taille moyenne avec une banque centrale dotée de faibles réserves de change. Elle ne pourrait donc soutenir longtemps les attaques spéculatives émanant de banques et de fonds spéculatifs ce qui ferait d’elle une cible idéale et du Franc une monnaie promise à une érosion certaine.
La question de la sortie de la zone euro masque celle de la spécialisation économique française, de la qualité d’une production orientée vers le moyen de gamme et d’un effort de R&D insuffisant qui présentent l’inconvénient de ne pas se résoudre de façon simple et rapide.
Hans-Kristian Colletis-Wahl est maître de conférences en économie à l'Université de Savoie