Le Monde.fr | 18.02.2014 à 17h06 • Mis à jour le 19.02.2014 à 09h42 | Par Hélène Bekmezian
Ericka Bareigts, députée (PS) de la Réunion, à l'Assemblée en juillet 2012.
Si l'Assemblée nationale ne peut pas réécrire l'histoire, elle peut contribuer à mieux la faire connaître, notamment dans ses périodes les plus sombres. Mercredi 18 février, en adoptant, à 125 voix contre 14, une résolution visant à reconnaître la responsabilité de l'Etat dans l'exil forcé d'enfants réunionnais, les députés ont permis à un volet de l'histoire française du XXe siècle d'entrer dans la lumière, et ses quelque 1 600 victimes avec. Certaines d'entre elles, présentes en tribune du public, avaient d'ailleurs fait le déplacement pour suivre le débat.
En France métropolitaine, mais aussi à La Réunion, leurs histoires restent très peu connues. Ce sont celles de milliers d'enfants utilisés comme régulateur démographique et transportés de leur île vers la métropole à partir de 1963. A cette date, La Réunion est alors un jeune département français très pauvre, sans infrastructures et terriblement surpeuplé. Michel Debré, père de la Constitution de la Ve République, tout juste élu député de l'île, installe le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d'outre-mer, le Bumidom.
En France métropolitaine, de nombreux départements ruraux souffrent de l'exode, tandis qu'à La Réunion les tensions économiques et sociales du territoire peuvent se transformer en réelle difficulté politique. Le député met en place une politique radicale en organisant les flux migratoires des enfants de l'île vers la métropole. Certains sont orphelins, d'autres non, mais ils sont emmenés avec l'accord des familles.
PORTÉE SYMBOLIQUE
Un « consentement vicié », selon Ericka Bareigts, la député socialiste de La Réunion à l'origine du texte. Aux parents, on promet le « grand soir » : les enfants recevront une éducation et pourront revenir pour les vacances. « La réalité fut tout autre. L'administration imposa une rupture totale avec les familles, il leur était interdit de reprendre contact avec leurs parents, les courriers n'arrivaient pas toujours à destination », a rapporté Mme Bareigts à la tribune.
A l'UMP, l'affaire passe encore mal, car elle entache la mémoire de Michel Debré, ancien premier ministre de Charles de Gaulle. Didier Quentin (UMP, Charente-Maritime), s'est ainsi dit « choqué » par une « proposition qui semble faire indirectement procès ». « Sans doute certains de ces enfants ont été mal accueillis, mais ce n'est pas une raison pour stigmatiser par principe les services sociaux de l'époque, qui ont voulu donner une chance à ces enfants. La grande majorité d'entre eux y ont trouvé les conditions d'une vie meilleure », a soutenu le député.
Plus tard, le ministre des outre-mer, Victorin Lurel, a justement rappelé que « l'enfer est pavé de bonnes intentions », avant de souligner qu'« une faute que l'on tait ou que l'on oublie est une double faute ». Dès la fin des années 1960, des signaux d'alerte ont été donnés par des préfets, ce qui n'a pas empêché ces exils forcés de continuer jusqu'à l'arrivée de François Mitterrand au pouvoir. Pour Victorin Lurel, « quelles que soient les motivations, rien ne permet de justifier aujourd'hui la poursuite de ces déplacements ».
« UN OUTIL POUR LEUR PERMETTRE D'ALLER PLUS LOIN »
De son côté, l'UDI a refusé de prendre part au vote, dénonçant une « manipulation politique à destination des électeurs réunionnais ». « Il ne s'agit pas d'une démarche d'instrumentalisation ou de faire de procès à charge », s'est défendu le président de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas (PS, Finistère), rappelant la portée essentiellement symbolique de cette résolution, qui n'a pas valeur de loi.
Le texte ne comporte qu'un article, prévoyant que « l'Assemblée nationale demande à ce que la connaissance historique de cette affaire soit approfondie et diffusée ; considère que l'Etat a manqué à sa responsabilité morale envers des pupilles ; demande à ce que tout soit mis en œuvre pour permettre aux ex-pupilles de reconstituer leur histoire personnelle ».
« Cela ne réparera pas ce qu'ils ont vécu, affirme Ericka Bareigts, mais c'est un outil pour leur permettre d'aller plus loin. » Au début des années 2000, certains d'entre eux ont tenté des recours auprès de la justice, qui avait estimé les faits prescrits. Raison pour laquelle le député de Guadeloupe Ary Chalus (RRDP) a émis le regret que ces enfants ne soient pas considérés victimes d'esclavagisme, qui, depuis la loi Taubira de 2001, est devenu un crime contre l'humanité, donc imprescriptible.