LE MONDE | 01.02.2014 à 10h33 • Mis à jour le 03.02.2014 à 09h00 | Par Gaëlle Dupont et Stéphanie Le Bars
Sur le défilé lyonnais de la Manif pour tous, le 2 février.
La « saison 2 » de la Manif pour tous démarre à point nommé. Au terme d'une semaine marquée par la polémique sur l'enseignement de la « théorie du genre » à l'école, les organisateurs des cortèges anti-mariage gay de 2013 reviennent à la charge en défilant dans les rues de Paris et de Lyon, dimanche 2 février.
Les organisateurs continuent à réclamer l'abrogation de la loi sur le mariage pour tous, mais la plate-forme des récriminations s'est élargie. Cette fois, c'est la « familiphobie » supposée du gouvernement que les organisateurs entendent contrer. « Le recul du gouvernement sur l'ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples de femmes n'a pas suffi à nous endormir », affirme Ludovine de La Rochère, présidente de la Manif pour tous. Le mouvement veut lancer « un avertissement au gouvernement », espérant « prévenir » des projets en cours, qu'il considère comme « une menace ».
Pourtant, signe qu'il cherche un second souffle, la liste des griefs est longue, hétéroclite ; un mélange de faits objectifs, de peurs et d'interprétations militantes. Un mot d'ordre surnage : l'opposition à « l'idéologie du genre » qui s'immiscerait dans les programmes scolaires. « Le ministre de l'éducation veut arracher les enfants à tous les déterminismes, dénonce Mme de La Rochère. Le gouvernement continue de s'incliner devant le lobby LGBT . »
Avec ce « sujet délicat, qui touche à l'intime et aux enfants », la Manif pour tous veut mettre en avant un thème fédérateur. Mais en jouant sur les fantasmes. Nul enseignement de la « théorie du genre » n'est prévu à l'école, cette « idéologie » (qui prônerait la transsexualité ou l'homosexualité) n'ayant pas d'existence. Les « études de genre », en revanche, se proposent de mettre en lumière ce qui relève de la construction sociale et non du sexe biologique. Elles peuvent être utilisées pour mettre en évidence des stéréotypes et sensibiliser à l'égalité entre les sexes.
Lire : « Théorie » ou études de genre, le grand malentendu
http://www.lemonde.fr/societe/article/2014/02/01/theorie-ou-etudes-de-genre-le-grand-malentendu_4358287_3224.html
D'où la confusion opérée par la Manif pour tous avec les « ABCD de l'égalité », expérimentés depuis la rentrée 2013 dans 600 classes. Le ministre de l'éducation Vincent Peillon a eu beau affirmer qu'il s'agit de « promouvoir les valeurs de la République et l'égalité entre hommes et femmes », la crainte est là. La dénonciation de cette « théorie » est cohérente avec l'opposition au mariage gay : il s'agit de lutter contre une « indifférenciation sexuelle » redoutée et de réaffirmer un attachement aux rôles traditionnels de chacun au sein de la famille.
Les manifestants entendent donc dénoncer « toutes les mesures qui convergent pour diluer le lien père-mère-enfant, aller contre l'intérêt supérieur de l'enfant et contre l'altérité homme-femme », résume Mme de La Rochère. Ils citent pêle-mêle la « politique fiscale défavorable aux familles », la « réduction du congé parental », les craintes d'un « retour de la PMA dans la loi famille », voire la reconnaissance de la gestation pour autrui (GPA), le « statut du beau-parent » ou l'instauration de « la prémajorité, qui restreint l'autorité parentale ».
En raison des convictions personnelles de François Hollande, et du fait de l'ampleur des manifestations de 2013, le gouvernement fait cependant preuve d'une grande prudence sur ces sujets. La consigne donnée à la ministre de la famille, Dominique Bertinotti, est de ne surtout pas faire de vagues avec son futur projet de loi, qui prend en ce moment du retard. La date de remise des rapports sur la famille commandés par la ministre ne cesse d'être décalée, alors que les élections municipales approchent. le projet de loi a d'ailleurs été recentré sur « l'enfance ».
Lire aussi : Origines, adoption, beaux-parents : les projets de Mme Bertinotti pour la famille
http://www.lemonde.fr/societe/article/2014/01/17/origines-adoption-beaux-parents-les-projets-de-mme-bertinotti-pour-la-famille_4349796_3224.html
Mme Bertinotti a en outre déclaré à plusieurs reprises que l'élargissement de la PMA n'en ferait pas partie. Le PS affirme suivre cette ligne. Le sujet est donc renvoyé à des Etats généraux organisés par le Comité consultatif national d'éthique… dont la date n'est pas fixée.
Sur la GPA, la position du gouvernement a toujours été claire : il n'est pas question de la légaliser. Quant à l'inscription à l'état civil des enfants nés par GPA à l'étranger, elle n'est pas non plus à l'ordre du jour. La circulaire Taubira de février 2013, qui demande aux tribunaux de délivrer des certificats de nationalité française aux enfants dans cette situation, semble diversement appliquée.
Quant au statut du beau-parent, il est écarté. A la fois parce que le terme, qui renvoie à la pluri-parentalité, effraie, et parce qu'il ne répond pas à la demande des familles recomposées. Mme Bertinotti évoque un « mandat éducatif » pour les actes de la vie courante (visite chez le médecin, etc.) établi avec l'accord du parent biologique. Le contenu de la « prémajorité » n'est pas fixé, il s'agirait d'accorder de nouveaux droits, comme celui de créer une association.
Sur les autres mesures de politique familiale, la lecture de la Manif pour tous est partielle. Le congé parental n'a pas été « réduit », mais, pour celui de six mois, doublé au contraire, si le second parent le prend. Et pour celui de trois ans, réduit de six mois si le second parent ne le prend pas. L'objectif est d'inciter les pères à s'investir auprès des jeunes enfants. Sur la fiscalité, la réduction du quotient familial a touché 12 % des ménages avec enfants, les plus aisés.
De l'aveu même des organisateurs, le sujet de la « familiphobie » est plus consensuel que « l'opposition à l'avortement ou à l'euthanasie ». Ces thèmes devraient donc être absents des slogans officiels, même si les discussions (suppression de la notion de détresse pour avorter, débat sur la fin de vie) alimentent les craintes et la mobilisation de nombre de manifestants.
Cette stratégie suffira-t-elle à élargir la Manif pour tous à de nouveaux publics ? Officiellement, Mme de la Rochère assure que son mouvement « n'a rien à voir » avec l'initiative Journée de retrait de l'école (JRE), lancée par Farida Belghoul, une proche de l'essayiste d'extrême droite Alain Soral, qui appelle les parents à boycotter une journée de classe par mois. Les manifestations de dimanche diront si une jonction s'est opérée entre les milieux musulmans pratiquants, touchés au premier chef par la JRE, et la droite catholique ultra-conservatrice, à la manoeuvre dans les cortèges de la Manif pour tous.
A l'Elysée, on dit ne pas craindre « un nouveau mouvement social » comparable à celui contre la loi Taubira. Reste à savoir si l'opération déminage de M. Peillon aura suffi à rassurer. Et quelle utilisation politique l'opposition de droite et d'extrême droite entend faire de cette nouvelle grogne sociétale.